31 août 2005

(BD) Les Pauvres aventures de Jérémie

Voici une petite présentation de deux BD de Riad SATTOUF. Les deux tomes forment le début des Pauvres aventures de Jérémie : Les Jolis pieds de Florence et Le Pays de la soif...

Dans le 1er tome, Riad SATTOUF nous présente son personnage, Jérémie, qui travaille en région parisienne dans les jeux vidéos. Son meilleur pote, Jean-Jacques Moselle, est dessinateur de bandes dessinées. Il y a du pacte autobiographique là-dessous : vous aurez noté le prénom... Moselle a une soeur, Sandrine, qui aime les garçons. Jérémie et Jean-Jacques ont du mal avec les filles : ce n'est pas que ce soit absolument désert niveau relations, mais disons que lorsqu'il y en a une pour l'un d'entre eux, ça reste quand même exceptionnel. A travers ce premier tome, Jérémie et J.-J. vont errer dans la capitale, d'un lieu à l'autre, mais surtout dans leur environnement professionnel, essayant de conclure avec le moindre cul disponible...

Prêts pour le résumé du 2d tome ? Eh bien, c'est la même chose, mais au lieu de "Jérémie à Paris", c'est "Jérémie au camping". Même Jean-Jacques, même Sandrine qui aime les garçons. Même caricature des gars des cités. Même façon d'envisager les gens en général comme des objets. Petite originalité : une des filles dont s'amourache ici Jérémie est une jeune femme allemande. Alors évidemment, qui dit Allemagne dit famille de teutons pro-nazis nostalgiques du bunker à grand-papa. Et madame est une sorte de catcheuse d'ex-RDA, initiatrice du sexe et perverse accomplie, figure de la matronne bavaroise. Evidemment...

Comme dans No sex in New-York, Riad SATTOUF s'engage ici sur la pente glissante de la sexualité, vue par deux gars refoulés, obsédés et pervers. A la longue, c'est usant, et ce qui amusait dans le premier tome des Pauvres aventures de Jérémie agace dans le second.

Du même auteur, vous pourrez lire également Ma circoncision, qui cette fois dépasse la sexualité pour aborder sans tabou une question de société un peu plus profonde. Et là, c'est réussi !

2 x 48 pages, coll. Poisson Pilote - 9,50 € chaque

Dans la même collection : Inspecteur Moroni, de Guy DELISLE
Du même auteur : Le Rêve de Jérémie

29 août 2005

Pour une naissance sans violence

Une lecture très particulière et très datée que celle de ce livre de Frederick LEBOYER paru en 1974. On ne saura rien, d'ailleurs, des titres qui autorisent l'auteur à écrire ce livre... Ce qui ne laisse pas de doute, c'est qu'on est en plein dans les années 70, que le discours et les pratiques autour de la naissance évoluent énormément, en bien, mais aussi que tout cela se teinte de la découverte des philosophies de l'Est, telles l'Hindouisme, le Bouddhisme et autres.

Aussi, l'écriture manque-t-elle gravement de contraste, tant tout y est noir OU blanc. Même si le propos n'a plus aujourd'hui grand chose d'actuel, on ne peut y adhérer, en particulier dans les deux premières parties, qui s'acharnent à décrire la naissance comme un martyre vécu par l'enfant. On voit l'auteur arriver avec ses gros sabots à trois kilomètres, et pourtant il va nous assommer pendant 49 pages...

EXTRAIT. « Courber le dos ne suffit plus. L'enfant broyé, anéanti, se tasse, au-delà de ce qui était possible. Tête rentrée, épaules serrées, il n'est plus qu'un bloc de terreur. La prison devient folle et semble vouloir la fin du prisonnier. Les murs se serrent encore. Le cachot se fait tunnel, le tunnel entonnoir ! Le coeur battant à rompre, l'enfant s'enfonce dans cet enfer. Sa peur ne connaît plus de limites. Quand soudain elle se change en fureur. Ivre de rage, il se rue contre le mur. Il faut qu'il passe ! Il faut qu'il perce ! Il n'est plus que terreur, il n'est plus que haine. Ce mur ! Ce mur ! Il faut qu'il sorte ! Il faut qu'il tue si nécessaire... Cette force, ce monstre aveugle qui le broie, qui le pousse au dehors, ce mur aveugle, obtus, qui le retient, qui l'empêche de passer, ce ne sont qu'une seule et même chose : c'est la mère ! Toujours elle !
Elle le chasse. En même temps qu'elle le garde, qu'elle l'empêche de passer ! Elle est folle ! C'est elle qu'il faut tuer. Puisque c'est elle qui se dresse entre l'enfant et la vie. Dans cette lutte à mort, ce combat sans merci c'est l'un ou l'autre. La mère ou le bébé... »


Vous le concèderez sans doute : on n'a que rarement lu de tels ramassis de bêtise. Le meilleur, c'est que l'auteur, faisant oeuvre littéraire en quelque sorte, oeuvre poétique (il faut voir la mise en page : cela sent le mimétisme avec la poésie hallucinée d'un Michaux), l'auteur donc en oublie de préciser que c'est un point de vue sur les choses. Et qu'il y a en a d'autres, qui considèrent la naissance d'un regard serein, accompli, protecteur...

C'est pourtant ce à quoi veut également arriver Frederick Leboyer dès le départ : à la sérénité illustrée par le choix et l'ordonnancement des photos. Tant et si bien qu'au prix d'un grand écart fabuleux, l'auteur rejoint donc les photos que son texte est venu illustrer (et non l'inverse, on le sent bien) et termine son homélie, comme souvent, par de sempiternels points de suspension... ... ... En d'autres termes, "les gens subtils auront compris", "to the happy few" en quelque sorte... ... ...

159 pages, coll. Points Seuil, actuellement épuisé et non réédité

L'Enorme crocodile

Voici un conte pour les plus jeunes, écrit par Roald DAHL et illustré par Quentin Blake...

Gaffe au croco ! Un gros crocodile laisse en plan son ami chétif dans la rivière gadoueuse qui constitue leur maison. C'est qu'il a en tête des plans machiavéliques pour aller à la pêche aux marmots ! En allant vers la ville, sur son chemin à travers la jungle, il rencontre un éléphant, un singe rusé, un bel oiseau, devant lesquels il se vante des méfaits qu'il va commettre. Mais arrivé à destination, le gros crocodile ne va pas créer la panique de la manière qu'il pensait...

L'auteur de ce petit conte réalise ici un récit de structure très classique, avec humour et modernité. La fin tonitruante laisse même au lecteur un petit goût de trop peu, et c'est tant mieux !

Roald DAHL déclarait paraît-il qu'il détestait s'ennuyer, mais que cela pouvait lui arriver très vite, comme aux enfants. Ici, pour sûr, il ne nous en laisse pas le temps !

A lire et à montrer à de jeunes enfants...

46 pages, coll. Folio Benjamin - 5,50 €

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Roald DAHL, Le Bon Gros Géant
Roald DAHL, Matilda
Roald DAHL, Sacrées Sorcières
Roald DAHL, Les Deux gredins
Roald DAHL, James et la grosse pêche

28 août 2005

(BD) Inspecteur Moroni

Je vais vous dire quelques mots sur cette BD dont j'ai retrouvé les deux premiers tomes par hasard, et que j'ai redécouverte avec plaisir cette nuit...

L'inspecteur Moroni interprète ses insomnies comme une des mille façons de faire du zèle. Il faut préciser que le zèle, Moroni, c'est un peu sa spécialité...

Guy DELISLE, Inspecteur Moroni, "Premiers pas" et "Avec ou sans sucre".


L'inspecteur Moroni est en début de carrière : ça arrive, et il paraît même que ça se soigne... sauf que Moroni est quand même un "cas" : il vit toujours à la botte de sa maman, dort avec son chien qui lui fait des scènes de ménage en appelant son maître au bureau, on le soupçonne d'avoir raté un début de carrière à l'inspection des impôts, etc. Pour sa psychologie, elle est aussi rigide que sa colonne vertébrale, illustrée ci-dessus. Mais Moroni, c'est surtout le fonctionnaire type, qui s'ennuie et se croit extrèmement futé alors que les plus énormes délits lui explosent sous le nez sans le faire broncher.

L'HISTOIRE. Dans le premier tome, "Premiers pas", Moroni est confié à la charge d'un ancien de la crim', qui s'apprête à prendre sa retraite après une dernière enquête tonitruante, mêlant un trafic de drogues, un réseau de prostitution et un coup d'état au Gabon... Dans le second tome, "Avec ou sans sucre", Moroni arrive dans un nouveau service et mène une enquête personnelle et pour le moins "parallèle" aux préoccupations du service auquel il est affecté : il a en effet accumulé, au bout de plusieurs semaines d'investigations, des preuves irréfutables démontrant que deux gobelets en plastique disparaissent chaque jour de façon totalement inexpliquée aux alentours de la machine à café... ...

Guy DELISLE crée ici un personnage très typé, extrèmement ridicule, dont le destin est presque comparable à celui d'un Toby Peters ou d'un privé à Babylone. Le trait de crayon est assuré, et les personnages très bien "campés" dès la première page, où l'on gagnera à regarder attentivement de quoi se compose l'intérieur de l'Inspecteur.

C'est drôle et léger, comme beaucoup de titres de la collection. Un troisième titre est paru.
Visitez le SUPERBE site de la collection (lien ci-dessous) !!

2 x 48 pages, coll. Poisson Pilote - 9,80 € chaque

27 août 2005

Les Deux gredins

Compère Gredin et Commère Gredin sont deux êtres assez ignobles et dégoutants, dans leur genre. On nous explique que c'est un glissement naturel qui s'opère chez les personnes habituées à ronchonner...

Le récit se compose au départ de plusieurs courtes "saynètes", qui peuvent permettre une exploitation sous forme théâtrale auprès d'élèves de 6ème ou 5ème. Compère Gredin fait une crasse à Commère Gredin. Puis Commère Gredin se venge. Et ça recommence.

L'HISTOIRE. Après ces quelques péripéties introductives, qui permettent d'entrer dans le récit en douceur, même lorsqu'on n'est pas forcément un lecteur chevronné, vient l'intrigue principale. Tout s'appuie sur une facheuse habitude alimentaire qu'ont prise les deux gredins : il s'agit de la tarte aux oiseaux du mercredi, une tradition qui a ses règles et son implacable régularité. Le mardi soir, Compère Gredin badigeonne les branches de l'arbre mort, au fond du jardin de broussaille, avec de la Glue Eternelle. Le lendemain, cueillette, puis préparation et dégustation. Miam ! Jusqu'au jour où les quatre singes dressés par Compère Gredin se disent que vraiment "trop, c'est trop". Ce jour-là, ils croisent une vieille connaissance : l'oiseau arc-en-ciel, importé directement du poème de Prévert. Leur plan de vengeance vient de prendre forme...

Roald DAHL compose ici un récit court, simple et drôle, à destination des plus jeunes. Exploitant l'univers des êtres monstrueux, frôlant toujours avec le cannibalisme, il nous replonge dans un contexte littéraire proche des fabliaux. Les deux portraits de gredins sont dressés en quelques lignes, superbement efficaces. Pour le reste, le récit est plutôt dépouillé.

Une lecture très rapide et divertissante, qui fera vraiment rire dès 8-9 ans.

92 pages, coll. Folio Junior - 4,50 €

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25 août 2005

Sacrées Sorcières

Pour tout savoir sur les vraies sorcières et obtenir plus d'informa-tions sur leur Congrès annuel, Roald DAHL a écrit à votre attention Sacrées sorcières.

L'HISTOIRE. Le narrateur commence par disserter sur les sorcières, comparant les vraies à celles auxquelles la litétrature de jeunesse nous a habitués. Abandonnez tout de suite l'idée du balai et du chapeau pointu, la verrue sur le nez et la longue cape bourrée d'araignées décaties. Par contre, il y a quand même, comme on dit, "des signes qui ne trompent pas" lorsqu'on veut reconnaître (et donc éviter à temps) les vraies sorcières. Le narrateur se plonge dans ses souvenirs (récit enchâssé) de môme, lorsqu'il n'avait que 8 ans et que sa grand-mère lui a livré un curieux héritage en guise de savoir-survivre. Pour avoir appris à ses dépens l'existence d'une sorte de congrégation internationale de sorcières, il va être amené à affronter la plus dangereuse d'entre elles : la Grandissime Sorcière, alors en plein Congrès devant une salle remplie de ses congénères pustulantes. Notre jeune ami, dresseur de souris à ses heures, va devoir s'improviser un rôle à la mesure de sa passion...

Le récit composé ici par Roald DAHL est certes rigoureux et riche, regorgeant d'analepses et de prolepses (des explications seront données aux néophytes par commentaires...). Mais hélas, notre auteur rate plusieurs occasions de retomber sur ses pieds et de faire de Sacrées Sorcières un récit aussi implacable que peut l'être celui de Matilda, ou du Bon Gros Géant. Un exemple : la situation dans l'épilogue pourrait avec peu de mots mettre en perspective l'incipit, à condition qu'on nous dise quand et comment est composé le récit que nous lisons. Une structure "bouclée" sur elle-même est propre à donner le vertige, et par conséquent à laisser le (jeune) lecteur dans l'indécision quant à la crédibilité de l'histoire. Dommage !

Plus largement, Roald DAHL ne veut pas que ses sorcières correspondent aux clichés habituels, mais les autres aspects de son récit sont gentillets, plutôt inoffensifs. Songez donc : lorsque le narrateur parvient à mettre en échec la Grandissime Sorcière, cela ne donne lieu à aucun commentaire particulier ! Aucun héroisme, pas de registre épique là où tout lecteur est en droit d'en attendre de fortes doses. Et puis il y a ici quelques éléments recyclés, presque mots pour mots, en provenance d'autres récits de Roald DAHL, et décidément cela finit par faire beaucoup de handicaps à notre plaisir.

Pas un mauvais livre, loin s'en faut, mais Roald DAHL nous a habitué à mieux.

Récit paru en 1983 - 201 pages, coll. Folio Junior - 6,60 €

Un autre point de vue sur ce livre, par ICI

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24 août 2005

Matilda

« Les dirigeants d'établissements scolaires sont, en général, choisis parce qu'ils font preuve d'éminentes qualités. Ils comprennent les enfants et prennent leurs intérêts à coeur. Ils sont ouverts et compréhensifs. Ils ont un sincère souci de la justice et de l'éducation de ceux qui leur sont confiés. Melle Legourdin, elle, ne possédait aucune de ces qualités. Et comment elle avait pu accéder à son poste demeurait un véritable mystère.
C'était une espèce de monstre femelle d'aspect redoutable. Elle avait en effet accompli, dans sa jeunesse, des performances en athlétisme et sa musculature était encore impressionnante. Il suffisait de regarder son cou de taureau, ses épaules massives, ses bras musculeux, ses poignets noueux, ses jambes puissantes pour l'imaginer capable de trodre des barres de fer ou de déchirer en deux un annuaire téléphonique. Pas la moindre trace de beauté sur son visage qui était loin d'être une source de joie éternelle. »


Ces quelques lignes sont tirées du superbe Matilda de Roald DAHL. Avec Le Bon Gros Géant, Matilda fait indéniablement partie des livres très bien écrits de l'auteur : le récit, de facture plutôt classique dans l'ensemble, est quand même bien plus étoffé que ne l'est celui de Charlie et la chocolaterie ou de La Potion magique de Georges Bouillon. A travers des portraits physiques et psychologiques qui fustigent les grands défauts de tous les hommes, les personnages prennent une épaisseur qui les rend surréels. Il en est ainsi, par exemple, pour M. et Mme Verdebois, les parents de Matilda, qui ressemblent on ne peut plus aux parents Groseille dans La Vie est un long fleuve tranquille. M. Verdebois, en particulier, en prend pour son grade : c'est une sorte de gangster sur le retour qui s'est spécialisé dans l'arnaque sur les voitures d'occasion (c'est-à-dire volées), qu'il revend à bons prix après les avoir "rajeunies" à sa façon, à grands renforts de sciure de bois et de perceuse. Mais je ne veux pas en dire plus là-dessus : cela pourrait donner de drôle d'idées à certains !

L'HISTOIRE. Matilda est une petite fille de 5 ans et demi qui grandit tel un improbable miracle au sein d'une famille catastrophiquement moyenne. Imaginez seulement : elle sait parfaitement lire et dévore, comme se doit de le faire une héroine de Roald Dahl, tous les livres de Charles Dickens. Elle compte également, à la vitesse d'une calculette. Ainsi, lors de son premier jour d'école, 14 x 19 ?
Jennifer Candy, que ses amis appellent Jenny, est la jeune institutrice de Matilda à l'école Lamy-Noir. Elle n'a que 23 ans, elle est belle et roulée comme un coeur, et elle est dévouée à son métier. Quelle n'est pas sa surprise en tombant sur une élève surdouée comme Matilda ! Elle va en référer à sa directrice, Melle Legourdin la bien nommée... Mais cette dernière est un personnage à prendre avec des pincettes, et rien ne va se passer comme sur des roulettes... Un miracle se produira-t-il, empêchant Matilda et Jenny de terminer leurs jours dans le machiavélique étouffoir ?

Roald DAHL se fait plaisir, et ce faisant il nous fait plaisir aussi : Matilda est une petite fille exemplaire, mais pas imbue de sa petite personne. Elle sait rester relativement simple et modeste alors que son niveau intellectuel, son ouverture sur le monde est terriblement plus élevé que celui de ses parents et de son frère Michaël tous réunis ! C'est une manière pour l'auteur de nous faire également partager, de façon forcément excessive, son amour pour les livres. Mme Folyot, la bibliothécaire, aide Matilda à dresser la liste des essentiels de la littérature anglophone : Oliver Twist et Nicholas Nickleby de Charles Dickens (déjà cité dans Le Bon Gros Géant), Jane Eyre de Charlotte Brontë, Orgueil et préjugé de Jane Austen, Tess d'Uberville de Thomas Hardy, Kim de Rudyard Kipling, L'Homme invisible de H. G. Wells, Le Vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway, Le Bruit et la fureur de William Faulkner, Les Raisins de la colère de John Steinbeck, Les Bons compagnons de J. B. Priestley, Le Rocher de Brighton de Graham Greene, La Ferme des animaux de George Orwell...

Il faudra y ajouter, désormais, aux côtés du Bon Gros Géant, Matilda de Roald DAHL.

Récit paru en 1988 - 235 pages, coll. Folio Junior - 6,60 €

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23 août 2005

3ème Quinzaine

Vous l'attendiez tous, la voici : j'organise du 22 août au 4 septembre 2005 la Quinzaine Roald DAHL !!!

C'est avec un immense plaisir et un certain goût de l'actualité que je vous convie à consulter les présentations de lectures autour de l'oeuvre délexquisavouricieuse du BGG de la littérature de jeunesse.

Votre participation n'est pas attendue : elle est nécessaire ! :)

Pour que les messieurs dames constituant le public lambda se rendent compte que, VRAIMENT, Charlie et la chocolaterie ne résume pas le talent de son auteur, loin s'en faut !

A bientôt !!! :)

Aller à la Quinzaine Roald DAHL
Roald DAHL, Charlie et la chocolaterie
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Roald DAHL, L'Enorme crocodile
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Fiche Roald DAHL réalisée par les Editions Gallimard Jeunesse

Le Bon Gros Géant

Chose promise, chose dûe : cette présenta-tion est un éloge dithyram-bique du BGG de Roald DAHL.

Après les lectures de Charlie et la chocolaterie et de La Potion magique de Georges Bouillon, celle du Bon Gros Géant peut surprendre, mais en bien. Dès la première page, le récit est composé dans une langue à la fois limpide et superbement poétique. Avant la fin du premier chapitre, le lecteur bascule dans un univers complètement inédit, où on l'amène, en tant qu'Homme, à perdre ses repères.

Le personnage central, Sophie, tient sans doute son nom des très célèbres malheurs d'une de ses homonymes. Quant au BGG, il nous fait parfois penser au Gulliver de Swift : géant pour les uns, nabot pour d'autres. La petite Sophie de Roald Dahl est l'un de ces personnages abandonnés de la vie comme il s'en trouve chez Charles Dickens, l'un des modèles de l'auteur. Mais le monde de Sophie nous plaît d'emblée bien plus que ceux de Charlie ou de Georges Bouillon : misérable par certains côtés, il reste cependant assez mystérieux (on y entre par une belle nuit de brouillard...) et ne verse jamais dans le misérabilisme.

L'HISTOIRE. Une nuit à l'orphelinat, près de Londres, Sophie n'arrive pas à dormir. Prenant son courage à deux mains, et malgré la crainte des représailles de l'institution, elle se lève de son lit dans ce grand dortoir froid et silencieux, et se dirige à pas de loup vers une fenêtre entrouverte. Une fois cachée par les rideaux, elle se met à admirer l'atmosphère de la rue en contrebas. Rêveuse, elle croit voir une silhouette géante arriver vers elle depuis l'autre bout de la rue. Aurez-vous le culot de prendre ce qui va suivre pour une simple divagation dans l'esprit d'un enfant orphelin ? Les géants n'existent pas, me dites-vous, étant donné que vous n'en avez jamais vu de vos propres yeux. Pourtant, Sophie va bel et bien se faire enlever cette nuit-là, depuis la fenêtre de l'orphelinat. La suite de son aventure l'amènera au pays des neuf géants poilus et voraces, mangeurs d'hommes de Terre de tous calibres... puis au coeur de Londres, chez la Reine d'Angleterre en personne !

L'univers créé ici par Roald Dahl n'est pas bêtement féérique : il s'appuie aussi sur le sens de la dérision dont chaque enfant, chaque adulte est capable. Le trajet de Sophie à travers cette aventure, ce que le BGG va lui apprendre sur lui, mais aussi sur elle-même et sur l'Homme en général, tout cela est traité avec un immense talent, ainsi qu'une délectation dans les mots. La langue du BGG permet de bonnes rigolades, car il fabrique sans le vouloir des inversions de syllabes très poétiques, des mots-valises très incongrus. C'est délexquisavouricieux ! Quant au contenu des discussions entre le BGG et Sophie, il est volontiers argumentatif lorsqu'il aborde les grands comportements de l'espèce humaine. Roald Dahl, en ancien aviateur de la Royal Air Force, regrette à travers les mots du BGG que les hommes s'entretuent perpétuellement, et imposent au monde les règles qui les arrangent le mieux. A l'image des indiens, le BGG pratique la chasse aux rêves, mais c'est pour les insuffler ensuite dans la caboche de la marmaille qu'il visite chaque nuit, en vieux patriarche bienveillant.

La structure du récit est efficace, et passe par plusieurs épisodes d'anthologie. Sophie et son ami le BGG traversent le monde, y compris les pays qui se trouvent sur les deux dernières pages blanches des atlas. Pour finir, ils sont investis d'une mission humanitaire d'ampleur internationale. On a envie de croire aux géants, s'ils ressemblent à ce Bon Gros exemplaire. Vous en aurez pour votre compte de surprises et d'émerveillement, c'est garanti jusqu'à la dernière ligne...

Récit paru en 1982 - 231 pages, coll. Folio Junior - 6,60 €

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Roald DAHL, La Potion magique de Georges Bouillon
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20 août 2005

La Potion magique de Georges Bouillon

Le petit Georges Bouillon, fils de paysans, ne supporte plus sa grand-mère acariâtre, qui vit sous le même toit que lui et lui pourrit la vie chaque jour. Georges est plutôt gentil et dévoué, mais Grandma ne cherche qu'à le rabaisser et à lui faire peur. Un matin, Grandma prétend même avoir des pouvoirs de sorcière, comme toutes les mamies en ont... Georges est intrigué et, plutôt que d'attendre de voir si les pouvoirs de Grandma vont s'abattre sur lui, il prend en mains son maigre destin, et se lance dans la recette improvisée d'une potion magique, qui rendra Grandma agréable à vivre... ou la fera taire d'une manière ou d'une autre... M. Gros Bouillon, le père de Georges, ne s'en plaindra pas !

« Georges n'y pouvait rien, il détestait Grandma. C'était une vieille femme grincheuse et égoïste qui avait des dents jaunâtres et une petite bouche toute ridée comme le derrière d'un chien. » Sacré portrait de l'ancêtre, dès la deuxième page ! De manière générale, dans ce conte de Roald Dahl, les grand-mères (en première ligne, sans doute, la Reine d'Angleterre toujours visée par Roald Dahl) vont en prendre pour leur grade.

Nous sommes emportés par Roald Dahl loin, bien loin du monde acidulé de Charlie et la Chocolaterie, dans un univers campagnard, immuable, sans autre extravagance que celle à laquelle va aboutir la curieuse recette de Georges Bouillon. L'auteur travaille ici sur l'exagération, sur l'emphase. Le conte est un magnifique répertoire de langage familier et de synonymes exprimant la laideur ou l'effroi.

Durant la première partie de l'histoire, lorsque Georges passe d'un flacon à l'autre à la recherche du meilleur (et surtout du pire) produit à ajouter à sa tambouille, Roald Dahl invente avec malice des étiquettes aux prescriptions colorées : « Pour les cochons. Contre les démangeaisons, les pieds trop sensibles, les queues sans tire-bouchon et autres cochonneries. Une pilule par jour. Dans les cas graves, on peut en donner deux. Attention ! ne jamais dépasser cette dose, sinon le cochon sautera au plafond ! » On pense à la formidable idée qu'avait Laurent Gautier, dans Notices, manuels techniques et modes d'emploi, de créer un personnage dont le métier était justement d'écrire les étiquettes et autres notices destinées à expliquer et décrire les produits de notre bizarre quotidien.

La potion de Georges Bouillon ? Un vrai régal, et pas seulement pour les personnes âgées !

Récit paru en 1981 - 116 pages, coll. Folio Junior - 5,40 €

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18 août 2005

Charlie et la Chocolaterie

Charlie Bucket, Willy Wonka et la fameuse chocolaterie font leur entrée ici-même, alors que tout le monde ne parle que du dernier film de Tim BURTON, adapté justement de ce classique de la littérature enfantine, signé Roald DAHL.

L'histoire, tout le monde la connaît : dans un univers hérité de Dickens (pour qui Dahl avait une passion), un jeune et très pauvre garçon nommé Charlie Bucket compte les longs hivers où lui, ses parents et ses quatre grands-parents, tous vivant sous un même toit, meurent de faim. Seul le père de Charlie, Mr Bucket, ramène à la maison quelques sous pour nourrir toute famille. Un hiver, Mr Bucket perd son emploi, et n'a plus qu'à prendre une pelle pour dégager la neige sur les trottoirs du quartier, afin de ramasser l'obole. Dans cette même ville se trouve la chocolaterie de Mr Willy Wonka, chef d'entreprise loufoque et inventeur génial de sucreries improbables. Un beau jour, Willy Wonka sort de son mutisme et propose à cinq gamins de trouver cinq tickets d'or cachés dans l'emballage de ses barres chocolatées...

Charlie et la chocolaterie est le titre le plus vendu de Roald Dahl, paraît-il. Et pourtant, l'on peut s'étonner de la médiocrité de son écriture dans ce conte, auquel on ne trouvera que difficilement une portée allégorique claire. Dès les premiers mots, une chose saute aux yeux : le livre est destiné aux seuls enfants, et ne réservera, de fait, aucune surprise particulière à un lecteur adulte. On dit que l'adaptation de Tim Burton est du même ordre ; nous ne sommes pas allés vérifier.

Il faut signaler un très bon dossier sur Roald Dahl dans le dernier numéro du magazine "Topo". Le journaliste qui évoque Charlie ne porte pas non plus ce livre dans son coeur, lorsqu'il le compare à d'autres livres du même auteur, plus drôles, plus osés, moins convenables, plus cinglants, mieux écrits. Ledit journaliste va jusqu'à évoquer le penchant raciste de l'univers de Willy Wonka... ça se discute. Il est évident que le message de Charlie contient une morale chrétienne bien-pensante qui fleure bon le bénitier : condamnation de l'obésité, du matérialisme, du chewing-gum, de la télévision, apologie de la pauvreté et d'une existence de martyr... est-il vraiment nécessaire d'y regarder à deux fois ?

Pour terminer, on pourra trouver gênant que le monde de l'Ecole ne représente pas, dans l'existence de Charlie, une occasion d'effacer les différences sociales : au contraire, on y voit Charlie mourir de faim en salle de classe pendant que ses camarades s'amusent dans la cour de récré. Et lorsqu'il y a des nouvelles importantes à lire à la maison, dans le journal ou sur le ticket d'or, Charlie demande à son père de les lui lire... Tout se passe comme si Roald Dahl, auteur de livres destinés aux jeunes lecteurs, ne concevait pas que son héros sache lire. C'est quand même préoccupant !

Nous essayerons de proposer d'autres lectures de Roald DAHL, afin de montrer qu'on a parfaitement le droit de ne pas céder à l'enthousiasme (j'allais dire l'euphorie) collective. Les goûts (de bonbons) et les couleurs (acidulées) ne se discutent pas, après tout !

154 pages, coll. Folio Junior - 5,40 €

Un autre point de vue sur ce livre, par ICI

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17 août 2005

Debout les morts

Incursion chez Fred Vargas : suite.
Cette fois, l’intrigue est vraiment prenante : l’enquête et ses retourne- ments prennent le lecteur à la gorge.

Dès la première page, ça fonctionne : une ancienne cantatrice constate un matin qu’un arbre a mystérieusement “poussé” dans son jardin, en une nuit. Les Grecs sont superstitieux : ça l’inquiète, cet arbre. Mais son mari lit le journal et s’en fout.

De nouveaux voisins emménagent, trois historiens “dans la merde” : dans l’ordre chronologique, Mathias, préhistorien, plus à l’aise à poil que dans ses vêtements qui le serrent ; Marc, le personnage principal de ce roman, médiéviste nerveux, sensible et parfois par la tectonique de ses pensées, et Lucien, passionné par la Grande Guerre, qui rebaptise le quartier selon les points cardinaux : le front Ouest, le front Est. Et l’ancien flic pourri, le parrain-oncle de Marc, Armand Vandoosler, viré de la police parce qu’il a laissé s’échapper un assassin; qui appelle ses colocataires les “trois évangélistes” : Saint marc, Saint Mathieu, et Saint Luc, et se prend pour la capitaine Achab.

Chacun à son étage de la “baraque pourrie”, pour respecter la chronologie : les bas-fonds ne sont pas utilisés (c’est encore la Chaos historique, “mystère originel, merdier général, foutoir en combustion, bref les pièces communes”), le premier est occupé par le chasseur - cueilleur préhistorique où “l’homme nu se redresse en silence”, le second par le Moyen-âge, ère du “glorieux deuxième millénaire, les contrastes, les audaces et les peines médiévales”, au dessus “la décadence, le contemporain, fermant de la honteuse Grande Guerre la stratigraphie de l’Histoire et celle de l’escalier. Plus haut encore, le parrain, qui continue de déglinguer les temps actuels à sa manière bien particulière”.

Debout les morts, 283 pages, coll. J’ai Lu - 5,30 €

Encore un billet signé Pelouse

Trois autres romans de Fred VARGAS

15 août 2005

Ippon

Dans le cadre général de l'étude du récit et des procédés de narration, l'on peut faire découvrir le polar aux élèves de 5è. Ippon, de Jean-Hugues OPPEL, peut alors être une lecture intéressante.

Les premières pages de ce court roman sont écrites dans une langue riche, poétique. L'étude de l'adjectif y est recommandée ! Elles posent l'ambiance en décrivant des scènes de rue anonymes. On y distingue, sans l'identifier, un individu en imper qui remonte son col (sans doute le "faux col effrayant" dont parle Rimbaud !) pour se protéger du crachin.

La destination de cet étrange inconnu n'est autre que la maison de Sébastien, 13 ans, adepte du judo, que ses parents ont confié à Justine pour la soirée. Justine, c'est une jeune étudiante en Lettres, qui donne des cours particuliers de Français à Sébastien, et qui accepte de jouer également de rôle "d'ado-sitter" à l'occasion. Ce soir-là, pendant que Sébastien s'énerve sur les tirs au buts devant la télé, Justine s'inquiète pour le compte-rendu de lecture qu'elle devra rendre demain, à propos de La Chartreuse de Parme... Heureusement, l'homme en imper va bientôt surgir de l'obscurité et perturber un peu toute cette relative innocence. Le suspense monte petit à petit, au gré de la focalisation interne et des tournures de phrases impersonnelles.

Très narratif, ce récit contient peu de dialogues. Il est rédigé dans une langue agréable à lire, mais la construction de l'intrigue laisse à désirer. L'auteur passe à côté de formidables occasions de mêler l'humour, la dérision à l'angoisse et la peur.

96 pages, coll. Souris Noire, éd. Syros Jeunesse 1993 - 4,90 €

L'Œil du loup

Superbe roman court, écrit par Daniel PENNAC, cette oeuvre peut s'étudier en tant que lecture cursive en classe de 6è, dans le cadre de l'étude du récit. Beaucoup de choses à en dire, beaucoup de points de grammaire abordables directement en lien avec le texte.

Pennac organise son livre en 4 chapitres. Les deux premiers, au moins, sont passionnants. Le chapitre I pose la situation de départ : un jeune garçon se tient debout devant une cage du zoo : l'enclos d'un loup qui n'a qu'un oeil. Jour après jour, le gamin revient, ce qui a le don d'énerver le loup. Tant et si bien que le loup, plutôt que de marcher de long en large jusqu'à ce que mort s'ensuive, décide un beau matin de se planter en face du gamin, et de le regarder fixement. Ce à quoi il ne s'attend pas, c'est que Afrique (oui, il s'appelle comme ça, ce garçon) continue à le regarder fixement, mais en fermant un oeil, histoire de se mettre à égalité avec l'animal.

Afrique se plonge dans l'oeil du Loup Bleu, et puis vice versa. Ce sont les chapitres II et III. Le IVè, c'est "l'Autre Monde". Quant à savoir ce que cela désigne, je préfère vous laisser le découvrir...

Au passage, relecture du Petit Chaperon rouge, de l'histoire biblique de Moïse sauvé des eaux. Je suis persuadé de lire aussi dans le deuxième chapitre un hommage insistant à Jack London (L'Appel de la forêt).

Pennac, en auteur malin, fascine son lecteur, qu'il soit jeune ou moins jeune, sans aucun mépris manifeste pour aucun lectorat. L'écriture est belle, l'histoire prenante. Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est réussi. Bravo Daniel Pennac !

Accessoirement (ou essentiellement ?), on peut voir dans L'Oeil du Loup de beaux exemples de "discours ancré"/"discours coupé", de récit enchassé, de changement de narrateur, de focalisation, etc., etc. Pas fou, le Pennac : il reste prof de Lettres en plus d'être écrivain. Mais il sait garder le bon équilibre entre ses deux métiers, contrairement à Christian Grenier, par exemple.

Plus que hautement recommandé ! ;)

94 pages, coll. Pocket Junior - 4,00 €

14 août 2005

L'Introuvable

L'Introuvable de Dashiell Hammett (1894-1961) ? Rien à voir avec L'Innommable de Samuel Beckett...
A l'origine, d'ailleurs, le titre est The Thin man, car cela reprend une jolie métaphore du bouquin. Vous me voyez venir : encore une fois, je ne suis pas convaincu par la traduction proposée...
Qu'importe (ou presque) ! Parlons un peu de ce polar, avec lequel nous allons clore cette 2è Quinzaine...

Dashiell Hammett est annoncé dès la 4è de couverture comme le père de cette fameuse "Hard Boiled School" sur laquelle je m'interroge toujours autant. Le personnage central qu'il invente ici, un certain Nick Charles, est le traditionnel détective qui s'est retiré mais qui va être amené par les circonstances (lesquelles surgissent de son ancienne vie, évidemment... ) à reprendre du service.

En l'occurrence, c'est une jeune femme de 20 ans (lui en a 41 et est fraîchement marié avec une jolie plante de 26 ans) qui lui tombe dessus dans un "speakeasy" de New York et qui lui fait le plan classique : "mais si, je vous connais, vous vous rappelez il y a 12 ans...", et l'autre de lui rétorquer, volontiers vexant "ah oui, ça me revient, vous étiez cette gamine un peu amoureuse de moi ?". Je grossis à peine le trait. L'action, vous l'aurez noté, se déroule cette fois sur la côte Est des Etats-Unis, là où Chandler, Kaminsky, Brautigan ne décollaient pas de Los Angeles ou San Francisco. Pas anodin.

Comme dans le cas du Grand sommeil de Chandler, le héros le plus connu de Dashiell Hammett - qui n'est pas ce Nick Charles mais un dénommé Sam Spade - a donné lieu à une interprétation remarquée au cinéma par l'éternel Humphrey Bogart. Décidément !

L'HISTOIRE. Noël 1936, New York. La famille Wynant est un peu dérangée : Clyde, le père, riche inventeur et industriel, a disparu dans la nature. C'est lui l'introuvable, le "thin man". Mimi, la mère, est une ancienne conquête de Nick Charles. Elle est hystérique (comme toutes les femmes, cf page 269) et ment comme elle respire. Dorothy, 20 ans, une jeune femme exaltée en manque de repères masculins. Gilbert, 18 ans, apprenti homme viril. Tout ça se complique au moment où la secrétaire de Clyde Wynant (lisez : sa maîtresse), Julia, est abattue chez elle. La liaison Julia-Wynant étant un secret de polichinelle, la police se met à rechercher activement ce dernier. Mais, comme l'indique si bien le titre français (qui nous gâche du coup notre plaisir), Clyde Wynant est introuvable, et on ne peut que s'adresser à son avocat, un homme désabusé par son client, et par conséquent au-delà de tout soupçon. Quand Nick Charles, qui a travaillé à l'époque (laquelle, direz-vous ?) pour Wynant, est invité par un courrier de celui-ci à rentrer dans l'affaire, la police devient nerveuse...

Dashiell Hammett a un grand talent : l'intrigue qu'il noue ici, bien que complexe, reste complètement compréhensible, et le lecteur peut deviner les motivations de chaque personnage à faire et dire ceci ou cela. Par contre, le climat du bouquin est limite ennuyeux, et les 100 premières pages suffisent à peine à se sentir concerné. Sans doute à cause d'une nette prédominance du dialogue au détriment de la description ou de la narration "pure". Or le dialogue n'est pas prenant.

Grand auteur, certainement, mais petit ouvrage et/ou petite traduction. Il faut lire un autre titre, comme Le Faucon de Malte ou La Clé de verre, sans doute, pour se sentir vraiment embarqué dans une grande oeuvre du polar.

304 pages, coll. Folio Policier - 6,20 €

Retour à la 2è Quinzaine
Charles WILLIAMS, La Mare aux diams
Stuart KAMINSKY, Moi, j'aime le cinéma
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil

Vargas, une introduction...

Ces trois polars n'ont strictement rien à voir avec les années 50 : Fred Vargas est, je crois, tout à fait contemporaine, et ses romans sont ancrés en pleine fin de XXe siècle. Bon. Vous voilà prévenus.

Faire un résumé des intrigues ne me paraît pas très pertinent. A vrai dire, une fois qu'on s'est lancé dans la première page, on est assez facilement happé. Il suffit donc de s'assoir confortablement dans un transat entre ombre et soleil, et de se laisser plonger dans l'histoire.

Les ambiances de Fred Vargas n'ont pas le côté sombre, parfois démoralisant d'Izzo ou de Daeninckx. C'est plus léger, beaucoup plus (pas de cauchemar à craindre, pas de chute de moral, pas de questionnements existentiels sur notre société après des lectures comme celles-là) : quand on touche à un personnage vraiment dégueulasse, il y en a toujours deux ou trois pour vous faire marrer : voici une galerie de portraits résumés, avec les titres de référence :

- le commissaire Adamsberg est un homme surprenant : toujours mou, il excelle dans la lenteur et la rêverie. Mais il est diablement efficace pour "sentir" le vice et le crime. En plein milieu d'une enquête, il peut lui arriver d'aller manger, à pied, à n'importe quelle heure de la journée (C'est une habitude qui me plait assez, j'avoue...). Il passe son temps à griffonner sur des bouts de papiers. Son visage est tellement disharmonieux qu'il finit par être beau (allez comprendre... ce type-là ne risque pas de faire l'objet d'une série TV). On le retrouve dans plusieurs romans, et particulièrement dans L'Homme aux cercles.

- Camille, ancien amour d'Adamsberg qui le hante régulièrement, a la particularité d'être musicienne et compositrice (dans L'Homme à l'envers, elle est chargée de composer la BO d'un feuilleton sentimental digne de "Santa Barbara". Pour trouver l'inspiration devant tant de niaiserie, elle préfère imaginer les histoires d'amour tumultueuses de campagnoles dans un champ de pommes de terre : ça lui parle plus... ). Mais quand l'heure n'est pas à la musique ou qu'elle n'a pas de boulot, elle troque son piano contre une boîte à outils et devient plombière. D'ailleurs, pour se calmer, elle aime feuilleter le Catalogue de l'outillage professionnel ("Meuleuses 125 mm 850 W poignée bilatérale Arrêt automatique en cas d'usure des balais").
Elle se retrouve à conduire un ancien camion à bétail dans les lacets du Mercantour, en compagnie du "Veilleux", vieux gardien de mouton superstiueux peu causant qui règle les rations de vin blanc et Soliman, seul habitant noir du village qui invente des histoires africaines pour évoquer toutes les situations ou bien vous sort la définition des grands mots de la lagnue française : "amour", "obstination", ...

- Dans Un peu plus loin sur la droite, c'est Louis (ou Ludwig) Kehhweiler qui mène l'enquête. Ancien employé obscur de certains ministères, il passe sa vie à essayer de pêcher du gros poisson : fraude, amours à scandale, passé gênant des grands hommes de pouvoirs... Mais il vient d'être viré. Alors il agit à son compte. Or, il a trouvé un bout d'os humain sur la grille d'un parc à Paris. Un os de phalange de doigt de pied, rongé par l'acidité après un passage dans les intestins d'un chien. Et ça le perturbe au point d'aller dans un bled perdu du Finistère, pour tenter de savoir à quel corps appartient ce bout d'os.
Louis (ou Ludwig) est mystérieux : il s'invente des ancêtres dès qu'il doit destabiliser son interlocuteur : l'aviateur Blériot, Tayllerand, l'inventeur des tire-bouchons... On sait juste qu'il vient du Cher, qu'on l'appelle "l'Allemand" depuis cinquante ans, et que l'un de ses nombreux ancêtres est le Rhin.
Et puis il parle à Buffo, lentement et simplement, au cours de longs monologues, pour essayer de le rendre moins con ; mais ce dernier reste semble-t-il assez hermétique à ses efforts.

Fred VARGAS, L'Homme aux cercles bleus, 219 pages, coll. J'Ai Lu - 5,30 €
L'Homme à l'envers, 317 pages, coll. J'Ai Lu - 5,80 €
Un peu plus loin sur la droite, 253 pages, coll. J'Ai Lu - 5,80 €

Un billet signé Pelouse

Fred VARGAS, Debout les mort

13 août 2005

Trois filles de leur mère

Dans ce court roman, Pierre LOUŸS imagine une situation que la morale aimerait improbable, bien qu'elle ne le fût peut-être pas au tournant des XIXè et XXè siècles...

Charlotte, Mauricette et Lili sont trois jeunes filles que leur mère, Teresa, prostitue. Teresa, fille du cirque et prostituée elle-même, à 36 ans, peut se vanter d'avoir légué à ses filles une éducation très particulière... Les trois soeurs ont respectivement 20, 14 et 10 ans, et pour aucune d'entre elles il existe encore des secrets dans les bizarreries et les perversités de la sexualité des adultes.

Pierre Louÿs, qui nous a habitué à de mémorables moments de pornographie littéraire, nous enferme ici avec son narrateur et ces quatre "filles de joie" entre les quatre murs d'une maison de tolérance. Son narrateur, qui n'est pas censé être autre que lui-même à 20 ans, n'a beau pas être innocent des choses du sexe, il n'en est pas moins décontenancé par le parcours de vie et les petites manies de ses nouvelles colocataires : Charlotte a besoin d'être humiliée, Ricette aime être battue, Teresa prend son plaisir à prostituer ses filles et à les traiter comme ses esclaves sexuelles. Quant à Lili, on va découvrir que, par comparaison avec ses deux soeurs et sa mère, c'est peut-être "la seule putain de la famille", c'est dire !

EXTRAIT :
(Mauricette) lança une de ces phrases que les filles de Teresa disaient si naturellement et qui me laissaient chaque fois dans une stupeur sans bornes.
« Lili ! cria-t-elle. Fourre-moi ta langue dans le cul pour voir si j'ai encore de la moutarde !
Et pendant que Lili soulevait le losange de l'arlequine, Mauricette répéta :
« C'est effrayant ce que le trou du cul me démange ! Non ! maman l'a fait exprès de me mettre en chaleur par derrière. (...) Eh bien, Lili ? quoi ?
— Ben, dit Lili, ça sent le foutre, la gousse, le caca, la putain, la moutarde, la guimauve, la queue, le jus de chat, la peau d'Espagne, le caoutchouc du godmiché, les suppositoires, le fond du bidet, le rouge pour les lèvres, la serviette à cul, la vaseline, l'amidon, le musc, les chiottes de bordel et les saloperies que je n'ose pas dire. »


210 pages, coll. 10/18 - épuisé

11 août 2005

Le Grand sommeil

Comment faire la connaissance du mythique Philip Marlowe, ou "mes premières conclusions sur la Hard Boiled School"...

Dans Le Grand sommeil, traduit par Boris Vian, Raymond Chandler met en scène son détective de choc et de charme : Philip Marlowe, personnage dont Humphrey Bogart endossa le rôle au cinéma. Bizarrement, d'ailleurs, on y verrait peut-être mieux le viril Robert Mitchum, qui joue tout-à-fait ce type de personnage dans Pendez-moi haut et court (Out of the past, build my gallows high), superbe film en noir et blanc de Jacques Tourneur. Mitchum se rattrapera avec un autre film tiré de Chandler : Adieu, ma jolie.

Bogart dans Le Grand sommeil,

Mitchum dans Adieu, ma jolie : même porté de clope !

Dans cette enquête, Marlowe est embauché par le général Sternwood, un vieux militaire mourant, digne et même fier. Le problème de ce dernier ? Ses deux filles, Vivian et Carmen, ont chacune à sa manière une vie un peu trop agitée : épilepsie, alcoolisme, amour du jeu, mauvaises fréquentations, drogue, pornographie... Marlowe, qui dans les apparences est quand même là pour résoudre une énigme policière (qui va se compliquer par accélérations successives), tient aussi le rôle sans doute très "daté", et en tout cas aujourd'hui bien mal perçu, de héraut de la morale.

Et pourtant, Marlowe, ce n'est pas un mou, pas un tendre, pas une fillette, non : il en a vu, et on va encore lui en faire voir un peu. Simplement, il a, comme le vieux général, un vieux fond mêlé d'honneur et de dignité militaire. Ce qui est bienvenu en 1948, date de parution du bouquin en France. Signalons au passage que la traduction de l'américain est d'un certain Boris Vian. Des origines de Vernon Sullivan, en quelque sorte...

En bref, LE classique du polar. Un héros 100 % "Hard Boiled" (et peu m'importe ce que cela veut dire). Et surtout, surtout, une écriture/traduction qui frôle le génie. En témoigne cet extrait, en guise d'entrée en matière :

« Le Chef du Bureau des Disparus n'est forcément pas bavard. Il ne remplirait pas ses fonctions s'il l'était. Celui-là est un type très astucieux qui tâche... et qui réussit pas mal, au début, à vous donner l'impression d'un bonhomme entre deux âges complètement dégouté de son travail. Le jeu que je joue n'est pas un jeu de jonchets... Il y a toujours une grande partie de bluff à la clé. Quoi que je puisse dire à un flic, il est fichu de ne pas en tenir compte. Et pour ce flic-là, ce que je dis ou rien c'est la même chose. Quand on embauche un type dans ma partie, ce n'est pas comme quand on prend un laveur de carreaux pour lui montrer huit fenêtres et lui dire : « Lave ça, et c'est fini ». Vous ne savez pas par-dessus ou par-dessous quoi je suis forcé de passer pour accomplir votre travail. Je l'exécute comme je l'entends. Je fais de mon mieux pour vous rendre service, et je peux faire quelques entorses au règlement, mais toujours en votre faveur. Le client d'abord, à moins qu'il ne soit malhonnête. Mais, même à ce moment-là, tout ce que je fais, c'est de lui rendre mon tablier et de la boucler. »

Raymond CHANDLER, The Big sleep
traduit de l'américain par Boris VIAN, Le Grand sommeil, 1948

252 pages, coll. Folio Policier - 4,70 €


Aller à la Quinzaine "En-quête(s) des années 50"
Aller à la Quinzaine "West Coast classics"
Charles WILLIAMS, La Mare aux diams
Stuart KAMINSKY, Moi, j'aime le cinéma
Dashiell HAMMETT, L'Introuvable

05 août 2005

Hard Boiled School

En causant de "Hard Boiled" dans le billet concernant La Mare aux diams, j'ai quand même eu envie d'aller vérifier par moi-même les critères qui font qu'un polar, un héros de polar ou un auteur de polars sont catégorisables "Hard Boiled"...

Tout ça pour vous dire que je me suis acheté trois grands classiques du polar américain, et que je suis en train de découvrir le premier d'entre eux : Le Grand sommeil, de Raymond CHANDLER. Paru en 1939, ce roman fut adapté à Hollywood avec Humphrey Bogart dans le rôle principal. Résultat : un carton. :)

Le prochain billet de cette Quinzaine "En-quête(s) des années 50" vous présentera donc ce bouquin, cet auteur, et un certain Philip Marlowe...
;)

Aller à la 2ème Quinzaine
Charles WILLIAMS, La Mare aux diams
Stuart KAMINSKY, Moi, j'aime le cinéma
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil
Dashiell HAMMETT, L'Introuvable

03 août 2005

Moi, j'aime le cinéma

Lecteur prévenu pardonnera complètement : la deuxième présentation de cette Quinzaine "polar" concerne un roman paru en 1983, et dont l'action (non plus) ne se déroule pas dans les années 50. Et pourtant...

Dans Moi, j'aime le cinéma, Stuart KAMINSKY fait de nouveau apparaître son héros préféré, Toby Peters, ancien garde du corps à la Warner, ancien flic, actuellement Détective Privé. Dans Pour qui sonne le clap, Toby a déjà sauvé la mise à Gary Cooper, dans Judy et ses nains, c'était Judy Garland... Vous avez compris le principe : Kaminsky est un fada de Hollywood dans la grande époque (celle des années 30-40, qui est aussi l'époque où Humphrey Bogart incarne pour la première fois à l'écran le détective Marlowe, héros créé par Raymond Chandler, CQFD). Et il s'est penché sur les petits détails du parcours des stars que sont Errol Flynn, Fred Astaire, ainsi que les précités. Il en connaît les petitesses, et nous les donne en pâture avec délices.

Cette fois, Toby Peters doit venir à la rescousse de Mae West, icône de la femme fatale, légèrement délavée par le temps et les mariages inopportuns. Pour la photo, voyez la couverture. Cette jolie dame, au départ, s'est seulement fait subtiliser le manuscrit de ses mémoires très intimes, dans lequel elle lâche quelques noms sans les avoir encore masqués, comme c'est prévu avant parution. Mais le coup n'est pas vraiment orchestré par des gens d'Hollywood, contrairement à ce que vous pourriez croire.

En fait, notre cher Toby se passerait bien de fréquenter Mae West en ce moment, car elle s'ennuie dans son palace et son appétit sexuel est au plus fort. Mais Toby doit un petit service à son frère, Phil, dit "le Panda", qui a bien connu la dame quelques jours avant son mariage (à lui). Comprenez : Phil, en surface, craint qu'un malade ne se fasse la peau de Mae West. Le fait est qu'une rançon a été réclamée par un cinglé, qui se croit acteur de génie incompris et rejeté par la machine aux mille rêves. En réalité, Phil pense que sa femme, Ruth, apprécierait moyennement que son vrai nom apparaisse en toutes lettres dans une position "incongrue" au milieu des mémoires de Miss West...

Hasard des hasards, l'action se déroule en 1942 et l'on ne parle que de l'effort de guerre du peuple américain, obnubilé par les attaques de l'armée japonaise, alliée des Nazis. Le lieu ? Los Angeles, forcément, dominée par les lettres géantes sur la colline... Le héros ? En fait, un looser intégral, qui sert de pigeon à une intrigue qui le dépasse pendant un bon moment. Vous m'avez compris, je pense au Privé à Babylone de Brautigan, qui a la même époque arpente les rues de Frisco. D'autant que Toby a lui aussi son "Babylone", un clown nommé Koko qu'il aperçoit à chaque fois qu'il tombe dans les vapes. Et c'est courant.

Autre influence visible : un producteur de cinéma nommé Talbott, qui évolue quelque part entre les personnages semi-réels que sont Mae West, Cécil B. De Mille (réalisateur des mythiques Dix Commandements avec un Charlton Heston / Moïse armé d'un simple bâton...) et W. C. Fields. Talbott, le nom ne vous dit rien ? J'entends pour ma part "Talbot", avec un seul "t", un personnage créé par Raymond Chandler dans La Dame du Lac. Encore une enquête de Marlowe, sauf erreur. On y revient...

L'ironie de Stuart Kaminsky vis-à-vis du polar est presque aussi totale que son sarcasme mêlé de fascination concernant Hollywood. Difficile de choisir un extrait dans ce petit volume délicieux d'un bout à l'autre. Essayons malgré tout :

« — Eh bien, Toby, mon garçon, dit une voix chaude qui interrompit mes rêves, nous avons une nouvelle théorie sur votre cas.
J'ouvris les yeux et vis un visage placide penché sur moi. Visage tolérant, visage d'un homme d'un soixantaine d'années qui en avait vu d'autres et qui avait envie de rentrer chez lui prendre un bain et un verre. Il aurait pu être curé ou soldat. Il aurait même pu être flic, mais j'inclinai à penser qu'il était médecin. Sa blouse blanche et son stéthoscope autour du cou furent mes meilleurs indices. Et ce qui m'aida aussi, c'est que je reconnus la salle des urgences de l'hôpital. J'y étais passé plus d'une fois.
— Je suis le Dr Melanks, dit-il en prenant un épais dossier.
Je savais que c'était le mien. (...) J'avais l'habitude des dossiers épais. J'y trouvais même une sorte de fierté perverse.
— (...) Certains membres du personnel sont maintenant persuadés que la terreur à laquelle vous soumettez votre corps sans interruption a suscité chez lui une réaction de résistance accrue. Non que vous soyez immunisé contre les accidents, mais votre corps a décidé une fois pour toutes : « Au diable, je peux tout encaisser. » Votre crâne n'a plus le droit anatomique de recevoir le nom de crâne. Nous ne savons pas très bien quel nom lui donner.
J'essayai de m'asseoir et m'arrêtai sur un coude. J'étais en chemise d'hôpital.
— A ma connaissance, l'objet se rapprochant le plus de ce que nous appelons plaisamment votre crâne appartenait à un boxeur du nom de Ramirez. Quand sa carrière fut finie, il gagnait de temps en temps quelques pièces en enfonçant les portes avec sa tête. A cette époque, il était devenu incapable de discours cohérents, et semblait croire qu'il était un robot. Comprenez-vous mon allégorie, monsieur Peters ?
— Si je continue à me faire cogner sur la tête, ma cervelle va tourner à la sauce blanche, dis-je.
— Votre cervelle est presque certainement déjà de la sauce blanche, dit le Dr Melanks. Je désire simplement que vous me la léguiez par testament. J'ai soixante-sept ans, de l'arthrite, le coeur malade, de l'artériosclérose et une hérédité peu prometteuse, mais je devrais vous survivre par une marge confortable. »


Un régal, cette écriture ! :)

PS : Je ne sais à qui attribuer la faute, mais on trouve par deux fois le nom de "Gary" (sic) Grant dans ce merveilleux bouquin. La coquille est malvenue, vu le titre...

Stuart KAMINSKY, He Done Her Wrong (en référence au grand film de Mae West : She Done Him Wrong, 1933), 1983
Traduction française par Simone Hilling, Moi, j'aime le cinéma, coll. 10/18, 1983.

255 pages, coll. 10/18 - actuellement épuisé, comme tous les titres de l'auteur dans la collection... ... :(

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Charles WILLIAMS, La Mare aux diams
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil
Dashiell HAMMETT, L'Introuvable

02 août 2005

La Mare aux diams

Ouvrons cette 2è Quinzaine avec un excellent bouquin de Charles WILLIAMS (1909-1975) :

Mieux vaut prévenir tout de suite : lire La Mare aux diams en 24 heures vous paraîtra une expérience très lente : le fin volume mérite de se faire dévorer par un lecteur vorace en bien moins de temps que cela. Et il a en magasin tout ce qu'il faut pour y prétendre : un héros à biscotos, une jolie poulette ex-danseuse de cabaret au profil nordique, des gangsters pas commodes, le milieu fascinant et terrifiant de la haute mer, une sacoche de billets, quelques diams et un avion qui gît par une centaine de brasses de profondeurs, quelque part au large du Yucatan...

Lecteurs non-avertis, attention au terme technique : nous sommes ici en présence d'un "récit enchassé". C'est-à-dire qu'un récit à la troisième personne commence, à l'intérieur duquel un personnage se met à lire un livre de bord écrit à la première personne, qui lui-même raconte l'intrigue principale... Vous suivez toujours ?
Nécessairement, le roman se termine sur un retour à la situation de départ. Le personnage engloutit le livre de bord d'une traite, en quelques heures... ce qui implique qu'on en fasse autant !

Si je savais décrire à quoi correspond le polar "hard-boiled" de Dashiel Hammet, Raymond Chandler et autres Chester Himes, je dirais bien que le héros de cette aventure (celle qu'il a écrite lui-même dans le livre de bord) est typiquement un justicier légèrement paumé, mais au grand coeur, et que cela fait de lui le gars un peu dur à cuire parfaitement désigné pour le rôle central des "hard boiled". Mais je peux me tromper. :/

Dans une proportion moindre de ce à quoi il nous a habitués (dans Fantasia chez les ploucs, par exemple), Charles Williams fait tout de même preuve ici de son implacable ironie. Ainsi le soir d'un meurtre et d'une baston mémorable :

« Nous avançons le long du trottoir. Personne en vue. Ce n'est qu'une soirée tranquille comme les autres dans un quartier résidentiel où les scènes de violence ne se déroulent que sur les écrans de télévision. »

Ou encore, en plein désert bleu :

« Je redresse vivement la tête et jette un coup d'oeil circulaire, en me demandant si je ne deviens pas dingue. J'ai entendu une détonation, et, à deux ou trois mètres à ma gauche, un projectile s'est enfoncé en grésillant dans le flanc d'une vague. (...) je suis seul sous le soleil, perdu dans cette immense plaine bleue miroitante, et brusquement la bande-son d'un western vient s'intercaler dans le décor. »

De quoi vous tenir en haleine, quelle que soit votre fréquentation du polar. Du très grand art pour un public acquis d'avance au talent de Mr Williams.
:)

Charles WILLIAMS, Scorpion Reef, 1955
Traduction française par Henri Robillot, La Mare aux diams, éd. Gallimard, 1956.

286 pages, coll. Folio Policier (réimpression avril 2005) - 5,30 €


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Stuart KAMINSKY, Moi, j'aime le cinéma
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil
Dashiell HAMMETT, L'Introuvable

01 août 2005

2è Quinzaine

Du 1er au 14 août 2005, je vous propose de participer à une nouvelle Quinzaine, autour du polar. Avec un hommage particulier à Charles Williams ! :)

Comme le domaine est plus que vaste (rappelez-vous la publication d'OEdipe-Roi de Sophocle dans la Série Noire chez Gallimard...), on s'est recentré sur la période concernée, à savoir les années 50, ainsi que sur la langue (anglaise et américaine). Pourquoi pas ?

Bien évidemment, il y a(ura) des intrus (auteurs et/ou héros hors des années 50), sinon c'est pas drôle... ;)

Des présentations et synthèses de lectures sont en ligne, et les liens livre par livre se trouvent ci-dessous...

Laissez vos commentaires, critiques, propositions, conseils de lectures ! :)


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Stuart KAMINSKY, Moi, j'aime le cinéma
Raymond CHANDLER, Le Grand sommeil
Dashiell HAMMETT, L'Introuvable