27 octobre 2005

Tokyo Express

Je viens de découvrir avec beaucoup de curiosité et de plaisir un monument du polar japonais. Il s'agit de Tokyo Express, de Matsumoto, publié par les très belles éditions Picquier Poche.

Dans ce court polar, Matsumoto tisse un fil à la fois complexe et dépouillé de fioritures. Le "truc" qui marche drôlement bien, c'est l'idée de changer de personnage principal plusieurs fois d'affilée, sans pour autant jamais créer de confusion chez le lecteur, qui se contente de suivre l'action, constatant tout d'un coup qu'il ne suit plus le même personnage depuis 10 pages, mais un autre, qui auparavant ne lui paraissait que secondaire.

Sur ce principe, un présumé meurtrier et deux enquêteurs nous emmènent sur leurs pas...

Il y a d'abord Tatsuo Yasuda, un type apparemment banal, qui fréquente assidûment un bar à putes, le Koyuki. Le gars travaille pour un ministère. Il n'hésite pas à inviter des collègues de travail, voire des clients, à des soirées un peu spéciales...

Ensuite, il y a ce double suicide à Kashii, loin de là. Il y a deux lignes de train qui mènent de la capitale, Tokyo, à Kashii. C'est intéressant parce que le gars qui est mort, c'est un collègue de Tatsuo Yasuda, un autre employé du ministère. La fille, c'est une pute du Koyuki...

Il y a aussi deux flics, deux enquêteurs faits pour s'entendre. Le premier, c'est un vieux flic, Jutaro Torigai. Un gars à la Marlowe, mais approchant de la retraite. Plus le genre à distribuer des coups, ni à relancer pendant 20 piges la même enquête. Et pourtant, Jutaro Torigai a des doutes sur ce double suicide.

Il en fait part à Kiishi Mihara, notre second enquêteur et troisième personnage principal successif. Lui est plus jeune, plus déterminé, plus coriace. Lui non plus ne sent pas cette histoire de double suicide. Il écoute attentivement Torigai lorsque celui-ci lui exprime ses interrogations sur l'enquête.

Un double suicide, a priori, ça ne donne pas lieu à une enquête. Les deux corps ont été retrouvé sur la plage de Kashii, dans la baie d'Hakata, à huit minutes de marche des deux gares, qui se font face. A côté des corps, une bouteille de jus de fruits mêlé de cyanure. Bue. Vidée. Les corps ne sont pas froissés, il n'ont subi aucune violence. Ils sont posés là, calmement, l'un près de l'autre. Des amants, ces deux-là ? Yasuda l'affirme, lui qui les a vus quelques heures avant leur mort s'embarquer ensemble sur le quai de la gare de Tokyo.

Bizarre coïncidence, que Yasuda ait vu ça. Bizarre aussi qu'il ait été accompagné de deux putes de Koyuki qui ont vu elles aussi les amants s'enfuir vers leur "suicide". Quelle chance d'avoir des témoins !

Sauf que Kiichi Mihara, il n'y a rien à faire, la tête de Yasuda ne lui revient pas. Alors il va le présumer coupable, comme ça, à la gueule...

Une écriture limpide pour un roman court et haletant. Ce polar a consacré Matsumoto comme le meilleur écrivain de polars du Japon. Il s'est vendu à des millions d'exemplaires et est entré dans le cercle très fermé des polars légendaires de l'après-guerre.

N'oubliez pas d'aller jeter un oeil sur la Quinzaine "En-quête(s) des années 50" dans les archives !
Je pense par ailleurs que le titre Tokyo Montana Express, de Richard Brautigan, fait clairement référence au volume de Matsumoto, d'autant que Brautigan connaissait très bien le Japon.

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