29 décembre 2006

(BD) Fais face, Charlie Brown

Un des grands plaisirs récurrents des vacances de Noël — un des plus grands plaisirs récurrents tout court, d'ailleurs — est de lire des strips des Peanuts de Charles M. SCHULZ.

Pour ce faire, plusieurs méthodes s'offrent à nous : les éditions abondent, à chacune son époque et sa vision de l'œuvre. Les éditions Rivages poche ont un avantage sur d'autres éditions, c'est le prix modique. Un autre avantage de taille, selon moi, est l'authenticité de la publication des strips en noir et blanc et en format de quatre cases disposées en carré. Même si les strips originaux étaient disposés en bandes horizontales, mais passons.

Un inconvénient de cette édition : l'esprit de compilation. Ici, la quatrième de couverture indique « ce recueil rassemble les dessins de Schulz des années 1973 et 1974 ». On frôle le mensonge par omission... Car en effet le présent volume ne compte que 124 pages, là où deux années de strips de Schulz représentent plus du triple...

Quoi qu'il en soit, ce volume rassemble des strips de qualité. La "grande époque" des Peanuts, en somme. Même si tous les thèmes récurrents, c'est étonnant, ne sont pas encore en place : c'est ici que Snoopy se fait scout, ici que Lucy ouvre son cabinet de psychiatre à 5 cents, ici que le petit frère de Linus se "promène" à l'arrière du vélo maternel.

Dans la deuxième moitié du volume, coïncidence ? J'ai relu plusieurs dizaines de strips récemment découverts dans une édition aujourd'hui épuisée. Seule la traduction change, ce qui est d'ailleurs intéressant à observer. Petit couac chez Rivages : Patty appelle plusieurs fois Lucy "Lucille", ce qui de mémoire n'arrive jamais ailleurs. Allez savoir : peut-être l'édition originale dit-elle, elle aussi, parfois "Lucille" plutôt que "Lucy" ?

C'est là la morale de toute cette histoire : je ne vais pas tarder à me procurer les Peanuts en v.o., car mon addiction à Charlie Brown empire de Noël en Noël...


124 pages, éd. Rivages - 6 €

24 décembre 2006

A quoi ça rime ?

Je pourrais profiter de ma catégorie "Lectures itinérantes" pour vous avouer que j'ai lu en entier un volume de dessins de presse de PLANTU... ... aux toilettes ! Non pas que les fêtes de fin d'année m'aient rendu malade, non non. Simplement, avec Plantu, on regarde un dessin, puis un autre, puis on lit la moitié du volume en laissant la compagnie se demander où l'on a disparu depuis 20 minutes !

:/

Bref, voici A quoi ça rime, une compilation du grand Plantu sortie en novembre 2005, et qui réserve la place d'honneur (si l'on peut dire) aux talents multiples z'et incontestables de notre premier ministre poète, Monsieur De Villepin.


Plantu et son éditeur organisent le volume par sections thématiques. J'en ai oublié les intitulés, mea culpa. Mais ces pages rapidement dévorées permettent de se remettre en mémoire quelques mois d'actualité intérieure et internationale. Le dessin, mieux que l'article d'analyse, capte l'attention et permet même de suggérer ce que les mots n'osent évoquer. C'est pas moi qui le dit, c'est Kofi Annan dans sa conférence à l'O.N.U., "Cartooning for Peace".

Le dessin de Plantu légitime à lui seul l'achat quotidien du journal "Le Monde". Avec les mois qui passent, c'est le meilleur outil qui soit pour ne pas oublier, pour mettre en perspective, pour comprendre enfin.


191 pages, éd. Seuil - 15 €

(BD) Contes de fées, contes défaits

La série "Little Lit" fonctionne comme une sorte de revue cartonnée, en (très) grand volume, regroupant quelques uns des meilleurs auteurs de BD actuellement resensés : Art SPIEGELMAN (l'auteur de Maus, prix Pulitzer 1992), Chris Ware, Lewis Trondheim et tutti quanti...

Dans ce volume, intitulé Contes de fées, contes défaits, le principe est de donner à lire aux jeunes et aux moins jeunes lecteurs des suites inattendues, des réécritures loufoques, des versions inédites de contes populaires originaires d'un peu partout, de la Hollande au Japon en passant par la France et les U.S.A.

Chris WARE, en particulier, signe ici un jeu de société à découper soi-même, dans les premières et dernières pages du volume. Tout simplement superbe et complètement compliqué façon Chris Ware !

J'ai beaucoup aimé le conte dessiné par Spiegelman du prince qui se prenait pour un coq. J'ai aimé aussi la suite cachée de "La Belle au Bois dormant"... j'ignorais que la belle-mère de l'endormie était anthropophage... :p

Voilà une belle initiative. Un peu onéreuse, peut-être, mais il faut dire que le support papier est très beau, très épais. Les volumes de cette collection seront encore sur les étagères de vos petits-enfants, j'en suis certain, car ce sont des classiques contemporains, édités proprement et solidement !


Le (très beau) site officiel de Little Lit
J'ai aussi lu le second tome
48 pages, éd. Harper Collins - 22,80 €

22 décembre 2006

(BD) Un homme est mort

Un homme est mort raconte l'histoire vraie d'une manifestation qui a tourné au carnage, à Brest, en avril 1950. La ville est alors en pleine reconstruction. Elle est méconnaissable. Mme de Sévigné au XVIIIè siècle disait que Brest était la plus jolie ville de "Basse-Bretagne" (entendez la Bretagne profonde), mais à coup sûr la ville nouvelle construite par des promoteurs fortunés et peu esthètes est aux antipodes de l'appréciation de la célèbre épistolière...

Que se passe-t-il donc, en avril 1950, à Brest "même" ?

Eh bien, la ville, après avoir été littéralement rasée par les bombardements alliés, puis déblayée, se reconstruit sur une nouvelle dalle. C'est la ville nouvelle, qui profite aux promoteurs immobiliers et exploite les ouvriers du bâtiment, logés dans des baraques goudronnées.

En 1950, un mouvement social se met en route. Mais pour des raisons politiciennes, la Préfecture fait savoir à la Mairie de Brest que l'agitation doit cesser immédiatement. Ça ne fait pas propre, ces protestations ouvrières au milieu de la photo de famille du ministre de l'intérieur, un homme de droite comme on en connaît à toutes les époques... ...

La manifestation d'avril 1950 se heurte donc à un mur de C.R.S. zélés : on ne se souvient pas de les avoir vu s'insurger contre les nazis pendant l'occupation, mais contre les ouvriers français, ils répondent à l'appel, ils sont là !

Le cortège avance, emprunte la rue de Glasgow puis descend vers la Place de la Liberté. Longeant le nouvel hôpital, les manifestants tombent nez à nez avec deux rangées de policiers armés. Il faut dire que toute la flicaille du département est venue en renfort. Des coups de feu partent. Mazé est mort, une balle logée dans le crâne.

Pas de chance pour la postérité de l'Etat tueur : un cinéaste est parmi les ouvriers. Engagé par la C.G.T., il va filmer les jours qui suivent, et cela va faire grand bruit...

Un album tout simplement superbe. Beau dessin, écriture forte, scénario à faire se serrer les gorges.


68 pages de BD
+ 12 pages de doc. (archives, témoignages), coll. Futuropolis - 15 €

18 décembre 2006

MM. Ferri & Larcenet, experts ès marketing

C'est Noël qui approche avec ses plus ou moins bonnes surprises dans nos rayons encombrés de bouquins. Sur les étagères de BD, mon dieu que de promesses de cadeaux alléchantes !

Alors chouette, super : FERRI et Manu LARCENET, ou plutôt leur éditeur, nous proposent une intégrale du merveilleux cycle Le Retour à la Terre (je dis merveilleux pour aller vite, comme vous savez). C'est une bonne idée. Je n'avais pas compris que le cycle était clos, mais je l'apprend par la même occasion, et je me dis que les bonnes choses ont une fin.

Pas troublé, pour le moment, donc.

Pourtant, le format de l'intégrale m'intrigue. C'est celui des volumes qui font un tabac ces dernières années dans le rayon dédié aux amoureux de la BD : le format du Jimmy Corrigan de Chris WARE, ou de l'intégrale des Peanuts de Charles M. SCHULZ.

Soit. Là encore, pas de quoi s'offusquer.

Je me saisis donc de l'intégrale du Retour à la terre... pour constater que les bandes sont présentées comme des strips, deux par page. Elles paraissent grossies, je ne sais pas si elles le sont vraiment. Ça n'est pas du tout du plus bel effet, ça casse la continuité de certains gags, qu'on lisait sur une page dans le format original...

... En bref, c'est quoi cette horreur ?

Admettre que Le Retour à la terre est un strip, pourquoi pas. Le strip est un format originellement inventé pour paraître dans une presse quotidienne qui offrait de moins en moins de place à l'illustration. D'où la concision atteinte par Schulz, par exemple. J'avais vu Le Combat ordinaire paraître dans "Ouest France", sans être un strip. Pourquoi pas ?

Mais bon sang, les quatre tomes du Retour à la terre ont paru originellement (et récemment) en format "bédé-de-48-pages", et voilà que l'intégrale, sous le prétexte du packaging "luxe" (je n'invente rien, c'est présenté comme ça sur différents sites), massacre le fil narratif.

En deux mots : pour quoi ?

A priori, pour faire comme les bonnes BD et avoir un produit bien placé pour les fêtes. Non ?

Alors, petites têtes pensantes de chez Dargaud, si vous êtes responsables de ce raté hivernal somme toute inoffensif, écoutez bien ceci : plutôt que de systématiser les intégrales façon "300-pages-à-29-euros", avec les auteurs de votre catalogue contemporain, vous feriez mieux de vous presser un peu de traduire l'intégrale des Peanuts, éditée par Fantagraphics. Parce qu'au rythme où vous êtes, et vu le nombre de tomes à paraître, on y sera encore à 72 ans !

Quoi, c'est donc ça, être l'éditeur de BD le plus en vue de l'hexagone ? Pensez-vous que parce que quelques fanatiques dans mon genre s'emballent sur une intégrale signée Charles M. Shulz, ils fonceront bille en tête sur vos protégés du moment, pour le plaisir d'avoir des bouquins de même taille à poser les uns à côté des autres sur l'étagère ?

Et les auteurs, à propos ? Pas complaisants là-dedans, non ?

Mieux vaut s'habiller en Père Noël ou en Mortemont sur le marché nocturne du village, que de travestir son œuvre ainsi, vous ne pensez pas ?

Et puisque Manu Larcenet sévit notoirement sur la blogosphère, c'est à lui que j'adresse ma requête, consécutive de ce qui précède : arrête-moi si je me trompe, Manu. Et surtout fais-moi mentir. Dis-nous que le format de l'intégrale, c'est celui que vous souhaitiez dès le départ, Ferri et toi. Et dis-nous ça sans colère, sans coup de gueule contre le monde entier. Sois magnanime. Nous ne sommes après tout, cher Manu, que tes consommateurs très dévoués.


260 pages, coll. Poisson Pilote - 29 €

(BD) L'important, c'est de participer

Ah, Charlie Brown ! Ah, les Peanuts ! Ah, Snoppy, Woodstock et toute la clique... On peut dire qu'ils m'avaient manqué, ceux-là, depuis la dernière fois...

Dans ce tome, Snoopy tape sur sa machine à écrire (et sur le toit de sa niche, cela va sans dire) une bonne vingtaine de tout nouveaux débuts de romans... Mais tous sont refusés par les éditeurs, dans l'incompréhension générale. Notre meilleur ami beagle fait également connaissance, au milieu d'un bois, avec une petite fille scoute qui vend des biscuits à tour de bras.

Chuck, Lucy et Marcy vont se faire percer les oreilles... Shroeder perd malencontreusement son piano dans une bouche d'égout, les scores humiliant défilent sur le talus base-ballistique de Charlie Brown.

Et bien entendu, c'est toujours exclusivement un plaisir d'adultes !

Un tome sympatique d'autant qu'épuisé, et trouvé par mes soins en un lieu fortement improbable pour y loger de tels trésors. En bref, ne deviendrai-je pas collectionneur, sur les bords ?


64 pages, éd. "Hors Collection" - 6 € en occas', qui dit mieux ?
D'autres titres sur le BàL : Snoopy & les Peanuts 1950/1952, Snoopy & les Peanuts 1953/1954, Te voilà, Charlie Brown !, Les Amours des Peanuts, Parfois, c'est dur d'être un chien !, Le Grand livre des questions et réponses de Charlie Brown, Envole-toi, Charlie Brown et As-Tu jamais pensé que Tu pouvais avoir tort ?

17 décembre 2006

(BD) Jimmy Corrigan

Commencé sérieusement il y a plusieurs mois, feuilleté distraitement des milliers de fois, je viens de lire en deux journées, hier et aujourd'hui, l'œuvre cathédrale de l'Américain Chris WARE, Jimmy Corrigan, the smartest kid on earth.

« Il y a dans la vie de certains des moments - à vrai dire des jours, des semaines, voire des années - dominés par le sentiment palpable que toute activité est dénuée de sens. (...) Dans de tels moments, et dans beaucoup d'autres passés sous silence, nombre d'entre nous recherchent une forme quelconque d'apparat pour faire diversion, ou nous consoler. On peut aller au cinéma du quartier, allumer la boîte à images, manger un gâteau, dans l'espoir de trouver quelque chose qui nous titille, ou mieux, et beaucoup plus rarement, qui apporte un écho compatissant à notre situation personnelle, soit par des faits, soit par un principe général de philosophie. Dans tous les cas, le succès d'une telle entreprise dépend tout d'abord de la qualité du sketch, du feuilleton, ou de la friandise consommée, et de si les auteurs manifestent un réel intérêt pour ces questions ou s'ils n'en attendent que du profit. Dans le dernier cas, il est probable que le tissu principal de notre expérience sera marqué par l'intention générale de l'auteur de distraire, ou d'amuser ; dans le premier, par le désir de l'auteur de rendre tous les autres aussi malheureux que lui. L'individu intelligent devrait donc conclure qu'en règle générale, la recherche de l'empathie dans l'art est vouée à l'échec, juste bonne pour les niais ou les laids, qui n'ont rien d'autre à faire pour s'occuper. Par ailleurs, s'apitoyer sur soi-même est peu élégant et de tels "moments difficiles" finissent toujours par passer, ou sinon, heureusement du moins pour les autres, le suicide reste bien-sûr une option.
Quoi qu'il en soit, la majorité des acheteurs de ce livre est sans doute composée de gens dynamiques, séduisants, sexuellement épanouis, pour qui le chagrin n'est qu'une abstraction, ou au pire un désagrément dont peut venir à bout un traitement onéreux. Ils espèrent donc trouver quelque chose qui les titille ou les amuse passagèrement, rehausse leur "look", ou les inscrive dans leur époque, et ils ont assurément fait le bon choix, car le medium de la bande dessinée auquel recourt cet ouvrage ne recèle aucun espoir de jamais exprimer autre chose que les sentiments les plus mesquins et les plus superficiels. Mieux, le livre n'a nul besoin d'être lu, il suffit de le placer bien en vue comme symbole de sa propre exhubérance juvénile, au même titre qu'une voiture tape-à-l'oeil, ou de la musique du Sud des Etats-Unis jouée par un aristocrate. »



380 pages, éd. Delcourt - 45 €

13 décembre 2006

Dans le train, épisode 6

Vous ne vous en souvenez sans doute pas aussi bien que pour "Le Petit Chaperon rouge" ou "Peau d'Ours", mais "Rose-Neige et Rouge-Rose" est aussi un conte merveilleux des frères Grimm.

Une veuve vit recluse dans une maison à la lisière d'un bois. Devant sa maison, deux rosiers, l'un blanc l'autre rouge, qui ressemblent à ses deux filles : Rose-Neige et Rouge-Rose.

Ces deux jeunes filles font le bonheur de leur mère, bien entendu. Elles mènent par elles-mêmes leur éducation sentimentale grâce aux expériences multiples et variées qu'on peut vivre quand on vit chez maman, à la lisière d'un bois...

En bref, un jour un ours vient toquer à la porte. Elles hébergent l'ours pendant les nuits froides de l'hiver, se frottent contre son poil, le malmènent un peu. Puis un jour l'ours repart, à la recherche d'un nain qui lui aurait volé tous ses trésors, dit-il.

Or Rose-Neige et Rouge-Rose rencontrent le nain dans le bois. Celui-ci s'adresse à elles dans un langage de charrerier. Parce qu'elles le valent bien : elles lui ont coupé la barbe, les cruches !

Plusieurs rencontres sur le même ton... jusqu'au jour où l'ours retrouve le nain devant les regards hagards de Rouge-Rose et Rose-Neige. Le nain meurt, l'ours retrouve sa forme originelle : celle d'un beau prince fortuné.

Le prince a un frère. Vous devinez la fin.

Je ne sais pas ce qu'il m'en serait resté si j'avais lu ces contes étant enfant, ou que je les avais étudiés à l'école. En tout cas, aujourd'hui, je trouve tout ça mal écrit et vraiment très ennuyeux. La préface de Janine Boissard n'améliore rien, bien-sûr.

"Le Petit Chaperon rouge", allez savoir pourquoi, est bien plus original à mon avis. De là à dire qu'il n'y a qu'au prix de l'originalité que les auteurs peuvent survivre, et que l'histoire ne retient que les œuvres originales...


8 pages (sur 130), coll. Livre de Poche - 3,50 €

11 décembre 2006

Dans le car, épisode 1

Eh oui, c'est le retour de la grève à la S.N.C.F., alors j'emprunte le car... et qu'y a-t-il de faisable dans le car, lorsque le chauffeur s'amuse à faire des embardées à droite et à gauche tous feux éteints à 6H32 du matin ? Réponse : L-I-R-E !!

Voici donc l'épisode 1, que j'espère unique, de mes lectures dans le car...



J'ai fini ce soir un livre que j'avais eu le temps d'avancer sérieusement ce matin. Il s'agit du récent roman Une bouteille dans la mer de Gaza de Valérie ZENATTI.

Tal Lévine est une jeune israëlienne élevée dans un pays en guerre, mais au sein d'une famille tolérante et pacifiste. Cela n'empêche pas son frère d'être soldat de l'armée israëlienne affectée dans la bande de Gaza.

Un jour, alors qu'un attentat à la bombe vient de se produire non loin de chez ses parents, Tal prend pleinement conscience de l'absurdité du conflit, et de sa furieuse envie de vivre. Elle décide alors de lancer une bouteille à la mer. Dans la mer de Gaza, pour être plus précis.

Et comme Tal a 17 ans, elle prend sa résolution au pied de la lettre. Elle rédige un mot, le glisse dans une bouteille, et confie la bouteille à son frère, pour qu'il la jette en mer au large de Gaza.

Mais ce que Tal n'a pas prévu, c'est que son mot arriverait entre les mains d'un garçon plus âgé qu'elle...

C'est Naïm, 20 ans. Il répond à l'adresse email indiquée sur le mot de Tal, et signe ses premiers messages "Gazaman". Il est très ironique, et tourne le geste de Tal en dérision. Mais un dialogue s'instaure, malgré les compteurs de morts qui continuent de défiler de chaque côté : attentat terroriste contre répression militaire.

Un roman écrit en 2005, très actuel, qui vieillira sans doute un peu pour son côté "jeunesse d'aujourd'hui". On espère aussi que la réalité avec laquelle Valérie Zenatti parle de la guerre israëlo-palestinienne se périmera, un jour...

D'ici là, découvrez bien vite ce roman très prenant et très touchant, et si vous vous laissez "accrocher", le rendez-vous est pris : le 13 septembre 2007, à midi, à la Fontaine de Trevi à Rome... une bouteille pleine d'espoirs sous le bras.


167 pages, coll. Médium de l'école des loisirs - 9,50 €

22 novembre 2006

Dans le train, épisode 5

Philippe GRIMBERT a obtenu en 2004 le prix Goncourt des Lycéens. Je ne sais pas si vous vous faites la même réflexion, mais j’ai le sentiment (pas forcément étayé par une lecture très assidue des ouvrages concernés, mais qu’importe) que le prix Goncourt des lycéens est une disctinction plus fiable que son aînée, le prix Goncourt-tout-court, sur le plan strictement littéraire.

Je m’explique, tout cru : tout le monde le dit, l’Académie Goncourt est essentiellement constituée de vieux môssieurs z’et de vieilles madâmes pour qui les plaisirs littéraires disponibles aujourd’hui au rayon des nouveautés équivalent à leur âge, au mieux, au frisson d’une improbable partie de jambes en l’air. D’où l’excitation irrationnelle d’un Nourissier sur Houellebecq l’an dernier : il avait promis de planter ses camarades à leur déjeuner rituel du mardi chez Rouand si Houellebecq n’était pas canonisé ; Houellebecq ne le fut pas, mais lui tient toujours sur son socle.

Tout le monde le dit, donc. Mais ce n’est pas vrai, bien-sûr.

Tout le monde le dit, les membres de l’Académie Goncourt, qui publient tous leurs petites oeuvres chez les principaux éditeurs de l’hexagone, sont remplis à ras-bords de conflits d’intérêts lorsqu’ils élisent tel ou tel roman. « Cette année, c’est Gallimard qui obtient le Goncourt ». Ah bon, parce qu’il écrit, Gallimard ?

Tout le monde le dit, donc. Mais ce n’est pas vrai, bien-sûr.

« Non non, se défendent-ils en substance, c’est pas vrai, d’abord (je traduis à ma façon), parce que Gallimard ne l’a obtenu que quatre fois en dix ans. » Que.

Bref, les lycéens, après avoir tout de même reçu une présélection de leurs patriarches, ne se retrouvent pas, eux, pieds et poings liés dans des calculs de grand-mère-qui-double-tout-le-monde-au-rayon-boucherie-de-chez-Leclerc. Y a pas de gruge dans les goûts et les dégoûts des lecteurs que sont les lycéens. Leurs goûts sont plus spontanés. Ils ne pardonnent pas l’ennui, les lycéens. Ils n’enculent pas les mouches.

Pour en venir à Un secret de Philippe Grimbert, consacré par ce prix littéraire qui vaut donc quelque chose (si vous avez suivi les lignes choquantes qui précèdent, vous aurez compris qu’un prix littéraire de valeur est un phénomène rare, qui méritait d’être mis en relief), je ne peux pas vous le raconter, puisque c’est un secret. Un secret de famille. Un frère caché. Une histoire de famille qui se confond avec l’Histoire des juifs français.

L’auteur maîtrise parfaitement son récit. Il en garde en permanence sous le pied. A partir de la page 70, vous êtes obligés de lire le reste d’une traite. Tout en retenue, Grimbert vous rend accroc à la révélation, addict au tragique. Parfois, on peut se dire qu’il va trop loin. Je me vois ce matin dans le train à lui dire : « Non, ça, mon petit Philou, tu n’as pas le droit »...

Mais il vous tient. Il vous en donne juste suffisamment pour vous tenir en haleine sur des chapitres courts, et puis balance la dernière phrase en quatre mots assassins, qui vous mettent une baffe en travers de la gueule.

Par deux fois, dans les vingt dernières pages, j’ai ravalé un sanglot qui montait d’un coup, pour ne pas éclater comme une cocotte-minute dans une voiture convenable de la Société Nationale des Chemins Ferreux. Et pourtant, comme lecteur, je ne suis pas un jeune tendre.

Donc et par conséquent, méfiez-vous de — autrement dit “jetez-vous sur” — Un secret de Philippe Grimbert.


185 pages, coll. Livre de Poche - 5,50 €

18 novembre 2006

(BD) Les Complots nocturnes

C'est sous-titré "Dix-neuf rêves, de septembre 1979 à septembre 1994", et c'est signé David B., un auteur prolixe dont le trait s'est affirmé avec la maturité. Les couleurs ne sont pas mal non plus. Quant aux jeux d'ombre, c'est carrément du grand art.

David B. est édité chez "Drawn & Quarterly", THE éditeur américain que j'adore, c'est dire !

Ces dix-neuf rêves sont donnés comme des tableaux. Chacun d'entre eux respecte un certain sens de la chronologie. Certains sont très construits. Presque à chaque page surgissent des images surréalistes, des jeux visuels frappants basés sur le principe de l'association aléatoire. Exemple : le narrateur se trouve face à un bâtiment qui affiche trois rangées de trois fenêtres en façade. Il veut entrer dans ce bâtiment. Alors il en épouse l'ombre, projetée sur la rue comme celle d'un décor en carton-pâte, une grande ombre carrée avec un chapeau pointu et des entrées de lumière à l'emplacement des fenêtres, comme si le bâtiment était éclairé par derrière, et comme si il n'avait pas de toit. On voit le narrateur se tenant face au bâtiment, de même hauteur que lui, mais d'humain il ne lui reste plus que la tête, car son corps est devenu un reflet vertical de l'ombre du bâtiment. Lui debout, elle couchée sur le bitume. On pense, très insconsciemment, à l'ombre de Peter Pan se faisant la malle, avant que Wendy ne la recouse.

Tiens, c'est drôle, Peter Pan ne vivrait-il pas lui aussi au pays des rêves ?

Aucune explication : tout n'est que suggestif. Le traumatisme de la guerre 39-45 est le grand thème récurrent, mais on trouve aussi les femmes, les chats, les voisins, les puits sans fond, l'enfance...

Une oeuvre belle et gratuite, surréaliste comme le Nadja d'André Breton.


124 pages, coll. Futuropolis - 15 €

09 novembre 2006

(BD) Malédictions

Un volume qui rassemble plusieurs histoires de Glenn Ganges, par Kevin HUIZENGA.

Glenn Ganges est un personnage autobiographique créé par Kevin Huizenga. Nous en avons déjà parlé ici. Dans ce tome qui vient de paraître, cinq histoires longues, et de style tout-à-fait différent.

La première d'entre elle, "Green Tea", part d'une apparition hallucinatoire de Glenn Ganges, du temps où il était étudiant aux Beaux-Arts et dormait très, très peu. Cette vision le pousse à se documenter encore plus à fond sur son sujet de recherche universitaire, qui porte sur... la vision, justement. C'est donc le prétexte d'une histoire enchâssée, dont l'action se situe au XIXè s. Le trait de Huizenga s'y adapte très bien, et l'auteur, via Glenn Ganges qui lui-même lit l'histoire sur des documents retrouvés en vrac dans une cave, recompose une atmosphère fantastique et noire digne des grands auteurs du genre.

La seconde histoire, "Avis de recherche", correspond mieux selon moi à ce qui fait de Huizenga un auteur talentueux et original. Si vous lisez à peu près l'anglais, vous pouvez la trouver en intégralité et en toute légalité à partir du blog de l'auteur, ici-même. J'y remarque en particulier une inventivité de la "mise en scène" de l'histoire, une savante réutilisation de fragments de dessins, et enfin un éclairage subtil, en toile de fond, sur un aspect de la civilisation américaine, pour ne pas dire occidentale. Concis, superbe !

Dans la troisième histoire, "28th Street", Glenn et sa femme Wendy cherchent à avoir un enfant, mais n'y parviennent pas. Leur docteur, un gentil frappé qui fume un vieux mégot perdu dans sa barbe touffue, conseille discrètement à Glenn d'aller chercher une plume d'ogre pour remédier au "souci technique". Profitant du départ de Wendy pendant une semaine, Glenn se met à arpenter les espaces industriels et commerciaux péri-urbains. Là où commençait autrefois les campagnes américaines, il descend des boulevards périphériques à quatre voies, s'arrête dans une station et interroge le pompiste, qui lui dit de se foutre du gasoil dans l'oeil, s'il veut trouver l'ogre... désopilant et de nouveau fantastique. Un peu long, peut-être.

La quatrième histoire, "La malédiction", donne involontairement son titre au recueil. C'est une sorte d'allégorie sur la présence de l'homme et son influence sur son environnement, à partir d'une sordide étude démographique portant sur des étourneaux. Une histoire courte et poétique, qui fait la couverture de l'édition américaine de Curses.

La cinquième et dernière histoire est exceptionellement en couleur. La narration y est très maîtrisée, comme dans un bon film qui prendrait le temps, qui choisirait les bonnes scènes, les bons points de vue. Mais l'histoire n'est pas très cinématographique, puisqu'on fausse compagnie à Glenn, relégué parmi les personnages secondaires, pour suivre un homme de cinquante ans, Jeepers Jacobs, dans le cheminement de sa pensée, autour d'un thème hautement sérieux car bassement religieux : l'enfer ! J'ai néanmoins trouvé que la chute de cette histoire faisait preuve d'un humour un peu potache, qui démolit tout le soin apporté à créer l'ambiance dans les pages précédentes.

Mais ça reste du bon boulot, et même plus que ça ! "Avis de recherche", à elle seule, justifie l'achat des quatre autres histoires de Malédictions.

Signalons enfin que l'éditeur français de Kevin Huizenga, Vertige Graphics/Coconino Press, a une curieuse façon d'envisager ses devoirs d'éditeur : sur la revue "Ganges", tome 1, il était plus facile et plus fréquent de trouver le nom de l'éditeur que celui de l'auteur. Sur le volume intitulé Malédictions, impossible de trouver le titre original ni l'année de parution... En fait, je pense que Malédictions est l'édition française de Curses, le dernier volume paru aux Etats-Unis.


100 pages, coll. Vertige Graphics/Coconino Press - 20 €

06 novembre 2006

(BD) L'Ivresse du poulpe

Après La Tendresse des crocodiles vient très logiquement, vous l'aurez deviné, L'Ivresse du poulpe. Quoi de plus évident, en effet ?

Voici donc le second tome des aventures de Jeanne Picquigny, jeune aristocrate des années 1920, sensuelle, sensible et libérée, véritable femme fantasmastique dessinée par Fred BERNARD.

L'HISTOIRE. Eugène n'est pas mort, comme on le croyait. C'est Barberine, sa soeur, qui vient le dire à Jeanne et Victoire. Jeanne avait pourtant fait son deuil, et baptisé son roquet Eugène, pour se venger du sort. Sitôt qu'elle apprend la nouvelle, sous le prétexte de retrouver les vieilles bobines de son père dérobées par Eugène, elle part à l'autre bout du monde pour le dénicher, laissant leur fils Modeste derrière elle.
Eugène s'est approché d'un curieux individu qui se fait appeler Nothing Meilleur. Un jeune rebelle fait également partie du décor, qui rêve d'un coup d'état à la Che Guevara (avant l'heure). Mais l'histoire se dénouera à New York...

Un volume sans doute plus déjanté que le premier, avec en particulier des scènes plus osées... à vrai dire, une (presque) pornographie un peu gratuite. L'action est aussi plus resserrée, chaque épisode étant réduit à son (presque) minimum narratif. Il faut dire que l'action est multiple, tout comme les lieux de l'action, à vous donner le tournis : Paris en septembre 1922, Amérique latine, New York, Paris en avril 1923... on est presque déjà dans l'univers de Lily Love Peacock !

Mais certains "trucs" se systématisent dans ce second tome sans prendre de signification particulière : la planche coupée en deux avec d'un côté trois cases normales, de l'autre des cases imitant le format du film de la caméra portative de Jeanne... Ou bien les débuts de dialogue où les répliques semblent être dites par des animaux au lieu de l'être par les personnages principaux... Plusieurs fois utilisés dès le tome 1, ces "trucs" agacent ici, justement parce qu'ils restent des "trucs" vides.

De la belle oeuvre malgré ces petits couacs.


174 pages, éditions du Seuil - 16 €

03 novembre 2006

(BD) Ganges, 1

Kevin HUIZENGA. Voilà un drôle de nom d'auteur, qui semblerait sonner à la fois américain et japonais. C'est justement un auteur de comic dont la simplicité du trait peut rappeler celle de certains mangas "occidentalisés", tels ceux de Jirô Taniguchi.

En quatre courtes histoires, Huizenga nous présente son héros, Glenn Ganges, jeune américain vivant dans une banlieue moyenne, en couple. Dans des cases bichromes bleues qui rappellent les BD de son compatriote Seth, alias Gregory Gallant, Huizenga nous fait entrer dans le monde de Glenn Ganges par le quotidien : la cafetière qui s'emplit, se vide et se remplit, les soirées à bouquiner sur le canapé ou à écouter de la musique sur un ordinateur, le trajet à pieds jusqu'à la bibliothèque, les détails extérieurs qui rappellent l'an passé, et les autres années encore avant...

Les trouvailles de Huizenga pour mettre en scène son héros ne cassent peut-être pas la baraque de la BD américaine contemporaine, après des auteurs comme Chris Ware, Art Spiegelman ou Craig Thompson, mais ses petits jeux récurrents sur la chronologie du récit font leur effet. De petites remarques sur de petits détails, on bascule d'une case à l'autre dans des réflexions à la fois intimes mais aussi très collectives et générales sur le retour du même, la construction de l'identité dans un temps cyclique (d'inspiration biblique), ce qui nous rend dépendant de l'autre (aversion, amour).

C'est un nouvel auteur à découvrir dans une belle collection. Vive la diversité des éditions de BD aujourd'hui !


32 pages, coll. Coconino - 8 €
Et une BD en 10 pages totalement gratis par ICI, une autre Là !
Et on en parle justement en ce moment sur le site de Drawn & Quarterly !


Mise à jour : Julie & Christophe en ont parlé dans "Dans ta Bulle !", épisode 15, comparant le dessin de Ganges et celui de "Bob et Bobette"... ...

30 octobre 2006

(BD) La Vie passionnée de Thérèse d'Avila

Prononcez A-BI-LA, bien entendu. Voici un recueil d'histoires dessinées par Claire BRETECHER, la maman d'Agrippine.

Sous le prétexte de faire une hagiographie espagnole, Bretécher revoit à sa manière très caustique quelques enseignements de la religion catholique à l'époque de l'inquisition. On observe donc Thérèse d'Avila, menant une petite vie de femme d'affaires, éduquant ses nonnes à tours de bras et à coups de grosses colères, car ce n'est pas tout, mais elle a encore quelques dizaines de couvents à fonder avant de mourir et d'être canonisée, la Thérèse.

Tout y passe pour tourner le culte en dérision : la nonne endiablée pour n'avoir pas bien surveillé "ses orifices", le prêtre victime des assauts sexuels de ses ouailles, la femme de Rodrigo qui attend son quinzième enfant en dix ans, car elle est bonne c(h)réti(en)ne.

Quand elle se fâche, Thérèse d'Avila se met à léviter et à dialoguer en aparté avec Iésousse.

La dernière histoire est un peu comme un bonus à la fin d'un Monty Python : c'est une suite de blagues plus potaches que jamais, qui font éclater de rire. Brétécher, très innocemment, nous la fait version portouguèche, et l'on rit, bien-sûr. Honte à nous, pauvres fanatiques anti-religieux.


50 pages, Editions Claire Bretécher - 9,50 €

28 octobre 2006

(BD) La Tendresse des crocodiles

Le volume est sous-titré "Une aventure de Jeanne Picquigny", et Fred BERNARD en est l'auteur.

Jeanne est une jeune femme séduisante, riche et cultivée. Elle a perdu sa mère lorsqu'elle avait huit ans, et depuis lors son père ne fait dans sa vie que de brèves apparitions. Entre temps, il part dans des expéditions plus hasardeuses les unes que les autres, au fin fond de l'Afrique équatoriale. On est dans les années 1920.

Jeanne s'est trouvé un gentil, beau et riche fiancé, le notaire Léon Philippon. Un bon substitut de papa et un amant attentionné.

Modeste Picquigny, l'aventurier géniteur de Jeanne, a disparu sans laisser de traces depuis plusieurs mois. Les tentatives de Jeanne pour rétablir el contact par voie postale, depuis Paris, restent sans effet. Alors Jeanne décide de partir chercher son père. Voyage initiatique sur le continent africain, grâce à la générosité aveugle de Léon, l'amant plon-plon.

A peine arrivée en terre d'Afrique, Jeanne se voit confiée à Eugène Love Peacock, figure stéréotypée de l'Indiana Jones décati. Et en route pour le voyage le plus long et le plus dangereux qui soit ! Rien ne sera épargné à Mam'zelle Jeanne : les guépards, les hippo, les éléphants, les moustiques gros comme des biftecks, les assauts sexuels de Love Peacock, la rupture à distance avec Léon, et bien entendu le fleuve infesté de crocos...

Un volume emprunt d'une poésie intime et sensuelle, qui fait le lien entre un personnage des plus attachants et un continent mi-fantasmé, mi-désabusé. Personnellement, j'adore le dessin : il faut voir toutes les moues que Fred Bernard fait prendre à son personnage principal. Et lorsque le regard s'éloigne un peu, pour pouvoir embrasser les gens et les lieux d'Afrique de manière plus large, la beauté du trait fin s'allie à la subtilité de la suggestion... cela vaut de belles pages de Corto Maltese, mais c'est comme si elles étaient traversées par un regard féminin, moins héroïque, plus sensible.

Une très belle lecture, qui trouvera une suite dans Lily Love Peacock, chez Casterman, qui raconte la vie quotidienne de Lily, fille d'un aventurier d'Afrique, dans les années 1960 à New York. Mais chut ! on en reparlera...


174 pages, éditions du Seuil - 16 €
Lisez aussi le billet sur L'Ivresse du Poulpe

(BD) Big Bill est mort

Wander ANTUNES et Walther TABORDA signent ici un album plutôt moyen.

Le thème central de ce volume ? La confrontation des noirs aux blancs d'un état du sud des Etats-Unis, dans les années 40 ou 50. L'histoire commence au moment où Big Bill, le caïd noir du coin, est retrouvé par ses deux plus jeunes frères pendu à un arbre, devant la maison de leur mère. Vous pouvez oublier le Ku Klux Klan : il n'en est pas question ici. Mais cela revient bien au même, puisque Big Bill, on va vite le découvrir, s'était fait tout un tas d'ennemis, noirs et blancs, dont plusieurs se sont alliés pour le tuer.

L'histoire est plutôt chouette, et l'idée de commencer avec la mort du personnage principal, comme l'annonce d'ailleurs le titre lui-même, est bonne sans être très originale. De là des récits insérés, des allers-retours entre le moment où les deux frères contemplent le cadavre de Bill, et les épisodes qui ont valu à ce dernier de se retrouver dans cette facheuse posture.

Mais il y a des "hic". D'abord, je ne trouve vraiment pas le dessin sensationnel. On est dans l'école de Van Hamme : silhouettes caricaturales de tous les personnages féminins, muscles saillants de tous les personnages masculins, gouttes de sueur qui ressemblent à de la peste bubonique... même la perspective n'est pas fiable, et certaines cases sont "mises en scène" de façon vraiment ridicule. Dès la première page, certaines postures des personnages paraissent tout bonnement impossibles.

Ensuite, l'écriture : elle est pauvre. Les dialogues tombent toujours à plat, il n'y a aucun art de la répartie. L'atmosphère se voudrait "tontons flingueurs", mais en fait on atteint péniblement le niveau de la cour de récré. Les personnages surlignent tout ce qu'ils disent. Il n'y a que du très très explicite, aucune retenue, aucune subtilité.

Enfin, l'intrigue se veut beaucoup trop riche pour une BD en 78 pages. En fait, un bon auteur romanesque pourrait pondre un volume de 300 pages au moins avec la même structure narrative. Il y a là matière à développer la psychologie, mais les auteurs n'en prennent pas le temps. Pourquoi n'ont-ils pas osé résoudre l'histoire en deux, voire en trois tomes ? Pour éviter cela, ils nous projettent plusieurs fois quelque mois ou quelques années en avant. L'action se démultiplie, on se met à nous raconter des histoires secondaires qui deviennent principale et n'ont aucun rapport avec Big Bill. A la toute fin, un narrateur omniscient nous résume en quelques mots ce qu'est devenu Jim, le jeune frère qui a vengé Bill.

Au risque de paraître pédant dans mon jugement, je crois que Big Bill est mort avait de bonnes choses pour faire une bonne BD, mais que les auteurs ont manqué de talent, ou fait les mauvais choix.


78 pages, coll. Paquet - 14,25 €

(BD) Lincoln

J'ai lu cette nuit les trois premiers tomes de la BD Lincoln, signée Olivier, Jérôme et Anne-Claire JOUVRAY.

Lincoln est un personnage aussi antipathique qu'attachant. Il n'a pas eu une chouette naissance, et son enfance ne lui a pas laissé le loisir d'avoir de grandes illusions sur la vie ici-bas. Ses trois premiers mots sonnent tout au long de sa courte vie comme un leitmotiv : "chier", "merde", "putain".

Lincoln est un cowboy qui n'a jamais gardé une vache. Un cowboy de western, autrement dit. C'est un gringalet à la mâchoire proéminente et au regard torve, qui aime à s'attirer des ennuis. Un provocateur grossier et mal léché. Un soûlard vaguement bagarreur qui finit toujours par se prendre un bon coup de santiag au cul.

Tout ça, jusqu'au jour où Dieu, habillé de l'éternel poncho et du divin sombrero qu'on lui connaît, lui tombe dessus, en pleine partie de pêche à la dynamite. S'ensuit un drôle de pacte, où Dieu refile 5 000 biftons à Lincoln, en échange de quoi celui-ci tolère pendant un moment de devenir l'objet d'expérimentations morales. Mais Dieu, dans sa mansuétude, a aussi donné à Lincoln l'immortalité, pensant que cela l'aiderait à changer de perspective sur la vie en général.

Lincoln se traîne ainsi, d'aventure en aventures, jouant aux cartes, provoquant des bagarres, se saoûlant, se faisant botter le cul, terminant ivre mort et amoché dans la gadoue des saloons.

Alors qu'il braque un train sous le regard éberlué de Dieu, voilà Satan qui s'amène, propose une tige à son collègue et le tourne en dérision. Plus tard, Lincoln accomplit un peu malgré lui son premier beau geste de justicier (en fait, un sale boulot de chasseur de prime), et le voilà affublé de trois nouveaux compères, fanatiques de son style inimitable. Ils deviendront ses apôtres, en quelque sorte.

Dans les deux volumes suivants, Satan revient à la charge, en soumettant Lincoln à la tentation. Mais Lincoln est aussi peu enthousiaste à servir Dieu, qu'à devenir le pigeon du diable. Après avoir laissé ses disciples dans un bled paumé où après le carnage, tout est à reconstruire, Lincoln s'en va malgré lui pour New York, en ce tout début de XXè siècle.

Un personnage et un cycle drôlement bien mené. Le dessin est admirable. Dieu ressemble à s'y méprendre à une créature de Larcenet. Lincoln est touchant d'obstination et de bêtise. Un quatrième tome existe, pourvu que je le dégote quelque part !


3 x 48 pages, www.bd-lincoln.com - 11 € chaque

26 octobre 2006

Anywhere in the train

S’il s’agissait de montrer qu’on n’est nulle part quand on est dans un train, je serais tenté de vous dire qu’effectivement, entre le point de départ et la gare d’arrivée, les lieux se confondent, le regard du voyageur se brouille, et sa conscience de l’espace. Je pourrais vous dire qu’un trajet Quimper-Paris prend actuellement quatre heures et quarante cinq minutes à l’usager raisonnable ; que pour un Paris-Brest il lui faudra laisser filer l’espace et le temps durant quatre heures et un quart, qui lui paraîtront beaucoup plus. Mais même sur des trajets plus courts, l’espace du nulle part ne s’exprime que très mal par les chiffres. Non, ce qu’il faut, voyez-vous, c’est expérimenter. Je pourrais alors vous raconter de curieuses rencontres, dont certaines à caractère hautement érotique, qui sont rendues possibles par le fait, décidément reconnu, qu’on n’est nulle part ni personne quand on est dans le train.

Mais je n’ai pas envie d’écrire toutes ces choses-là pour le moment.

Parce que. Si l’on n’est nulle part quand on est dans le train, c’est pour de tout autres raisons. Par exemple, voyez-moi, là, tout de suite, dans ce wagon de l’Inter-Loire. Je veux dire : “cette voiture”. Le train file, soleil à bâbord, à travers des campagnes vertes et indéterminées. On aperçoit la Loire, certes, de loin en loin. D’où le petit nom de la machine sans doute ; rien ne serait plus facile à vérifier.

Deux rangées de sièges rembourrés de compassion sous un plafond vert glauque. Les rideaux sont assortis. Les assises aussi, par rayures. Je me place toujours côté fenêtre. Les gens qui se placent côté couloir, je ne les comprends pas, je ne veux même pas essayer d’entendre ce qui les motive. L’autre jour un train est entré de plein fouet dans un autre train, en Lorraine. Il y a eu plusieurs morts. Je me doute bien que les personnes qui s’assoient au bord de la travée centrale sont les moins exposées aux chocs en cas d’accident. C’est logique. Si, si, pensez-y un moment, vous verrez. Pour ma part, si je fais déjà l’effort de n’emprunter que les voitures de queue, alors ne me demandez pas en plus d’abandonner la fenêtre, ça non.

Côté fenêtre, on peut regarder dehors. C’est comme lorsqu’on est passager d’une voiture, si vous voulez ; une vraie, je veux dire. D’ailleurs, voilà quelque chose qui m’insupporte : être à l’avant sans avoir le volant. Sans appuyer ou relâcher les pédales, sans faire grincer le levier de vitesses, sans actionner les clignotants. Sans pouvoir décider qui ouvrira sa vitre, et jusqu’où. Non merci. Très peu pour moi. « Plutôt le train côté couloir que l’auto à la place du mort ! » C’est dit.

Côté fenêtre, on peut regarder dehors. Je sais : je l’ai déjà dit. Côté fenêtre mon regard peut fuir vers l’extérieur ; côté couloir il deviendrait claustrophobe, le bougre. Du côté de la fenêtre je peux croire à la perspective, ce machin inventé par des peintres. Je peux regarder les vaches autant qu’elle me regardent ; mais elles ne me voient pas, car leurs yeux ne fuient pas aussi prestement que les miens. Si je regarde tout le temps, si je regarde partout, je ne suis nulle part quand je suis dans le train, côté fenêtre. Car je me projette sur les collines, à travers les champs à perte de vue, derrière les vitres de tous les bâtiments aperçus, je traverse les halls de gare, aborde à tous les quais auxquels je ne descendrai pas, dans les distributeurs rouges j’achète des boissons en rien désaltérantes, des barres chocolatées qui me laissent sur ma faim, je fais escale à Oudon dont je connais déjà tous les habitants, sans avoir jamais eu l’intention d’aller au-devant d’eux.

En bref je ne suis plus dans le train. Dans d’autres sphères spatiales et temporelles, j’élabore un art de la fuite. Secoué, balancé par les rails qui me mènent à coup sûr vers le terminus, je vis pourtant dans l’évitement quasi-parfait.

Certaines personnes vous diront que j’ai fui en moi-même. Voilà vraiment un point de vue romantique sur l’affaire. Ou bien psychanalytique, c’est au choix. Mais qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas écrit. Je ne rêve pas de grosses locomotives puissantes s’encastrant violemment dans de longs tunnels étroits et transpirants. En tout cas, pas souvent.

17 octobre 2006

10 000è visite

Ben voilà : ça arrive, la dix millième visite sur ce Blog à Lire entretenu consciencieusement par mes soins, et lu et commenté par de nombreux "vous". Alors merci à vous, et un sourire par avance... To be continued !

15 octobre 2006

50.000 dollars

Le recueil 50.000 dollars rassemble six nouvelles de Ernest HEMINGWAY, écrites entre 1925 et 1929.

La première d'entre elles, qui donne son nom au recueil, a déjà été présentée ici-même : elle met en scène quatre ou cinq personnages, très "hard-boiled", dans le milieu de la boxe et des paris.

Les deux nouvelles suivantes, "Mon vieux" et "L'invicible", évoquent respectivement les courses de chevaux et la corrida. Elles sont exemplaires elles aussi, ne serait-ce que par leur évocation de Paris pour la première, de l'Espagne pour la seconde.

Les trois dernières nouvelles sortent du thème sportif, pour poser des situations humaines de façon plus large. Hemingway ne met en scène presque que des hommes. Dans "Le village indien", le jeune Nick accompagne son père et son oncle dans un petit village indien, où une femme n'arrive pas à accoucher. Le garçon va voir dans la même nuit la naissance et la mort, de très près. Une nouvelle surprenante qui nous laisse en suspens.

C'est un peu le même principe pour "Les tueurs" : trois personnages travaillant dans un restaurant de bord de route voient débarquer deux étrangers. Ceux-ci, maîtres de leur art, commandent à manger, avalent calmement leur dîner, puis prennent l'établissement en otage. Ils attendent Ole Andreson, le Suédois, pour l'abattre. Là aussi, un jeune garçon prénommé Nick se voit contraint de prendre la tangente par peur d'y laisser sa peau.

Se dégage de ces deux nouvelles l'impression qu'en Amérique, la vie de chaque homme dépend du droit du plus fort.

Mais la pièce maîtresse de ce recueil, à mon avis, c'est "Le champion", une nouvelle en 15 pages. En tant que lecteur, je n'aime pas particulièrement le genre de la nouvelle : je lui préfère généralement le roman, plus complexe, plus développé. Mais Hemingway, ainsi que J.D. Salinger dans un autre univers, accèdent à travers la nouvelle, il faut l'admettre, à une forme de perfection du récit.

Un homme se fait jeter d'un train en marche. Il se relève, esquinté, et se met à marcher à travers les bois, en pleine nuit, maudissant le serre-frein qui l'a cogné. Il aperçoit bientôt une sorte de feu de camp. Un homme à côté du feu : Ad Francis, un ancien boxeur bien connu. Son visage est bien abîmé, il n'a plus qu'une oreille, et de l'autre côté un simple bout de chair. Il invite le vagabond à partager le bout de gras. Bugs, le compère de Ad, surgit du fond de l'obscurité. Ils mangent tranquillement. Ad raconte à notre homme comment sa carrière l'a lâché, comment il lui arrive de devenir fou. L'homme ne le prend pas vraiment au sérieux. Ad se renfrogne... puis il se lève et marche sur l'homme.

Jamais je n'ai vu une ambiance aussi épaisse posée en aussi peu de mots. Hemingway écrit "Le champion" avec un talent absolument incroyable. Quinze petites pages passent, et quelque chose nous est arrivé entre les lignes. La nouvelle contient sans le dire une leçon sur l'Humain, de l'ordre de celles autour desquelles tourne Edward Bond dans ses pièces de théâtre les plus sombres.

Je suis soufflé !


175 pages, coll. Livre de Poche 1958 - 2 €

12 octobre 2006

Dans le train, épisode 4

J'ai lu ce soir la nouvelle très connue d'Ernest HEMINGWAY sur le monde de la boxe : "50.000 dollars"...

Jerry Doyle entraîne un crack de la boxe, Jack Brennan, en vue d'un match à venir. C'est Jerry qui raconte. Jack est bien entouré, dans le camp où son manager l'a envoyé passer les dernières semaines de préparation physique et mentale. Mais Jack n'est plus un jeune boxeur, et son dernier match l'a destabilisé.

Jack pense à sa femme tout le temps, et à ses filles. Cela l'empêche de dormir. Il fait des pronostics sur lui-même, et sur son challenger : Lewis était un "youpin", Walcott est un romanichel, après tout, ça revient au même de corriger l'un ou l'autre. Des "amis" rendent visite à Jack à la veille du match, ils s'entretiennent avec en lui en privé. Au sortir de quoi, Jack a les yeux dans le vide. Il ne fait plus de pronostics, mais des calculs... et pour retrouver le sommeil perdu, ils se saoûle.

Le combat a bien lieu, dans un Madison Square Garden bondé. Walcott est le favori de la foule. Coups bas échangés, puis la défaite pour Jack. Alors qu'on lui enlève ses gants, ses "amis" se frottent déjà les mains...

Décidément, la boxe est un thème littéraire et artistique très viril et vraiment fascinant. Quentin Tarantino a sûrement lu "50.000 dollars" avant d'écrire le rôle de Bruce Willis dans Pulp Fiction, et l'on retrouve aussi dans l'ambiance posée par Hemingway un peu du Raging Bull que jouait le jeune Robert De Niro.


Du même auteur : L'Adieu aux armes et L'Etrange contrée
La nouvelle "50.000 dollars" est issue d'un recueil éponyme.

07 octobre 2006

(BD) Le Temps de chien

Vous ne le savez sans doute pas, mais Sigmund Freud a vécu une "aventure rocambolesque" en Amérique, accompagné de son volubile valet viennois, Igor.

Le but de ce voyage est tout simple : démontrer que les théories sur la psychanalyse qui l'ont rendu célèbre sur le vieux continent en ce début de XXè siècle valent aussi outre-Atlantique, sur cette étendue sauvage où les hommes et les chiens vivent sans foi ni loi.

... Les chiens ?!

Ben oui, les chiens. Parce que très rapidement, Sigmund et Igor se rendent à l'évidence : les pauvres ères mexicanos qui vivent sur ces terres arides et désolées, soumis à des vies cruelles et injustes, tragiques avec acharnement, ne vivent pas mal. Ils n'ont aucune vision de la fatalité, ne se plaignent pas de leur sort, et ne font pas spécialement de cauchemars. Alors quand nos deux compères tombent sur un chien bâtard en cavale, car fraîchement échappé d'un bagne de clebs, l'individu en question, pourvu de la parole, tombe à pic sur la paillasse de la science moderne.

S'ensuit un drôle de pacte, car Spot le chien est à la recherche d'une âme, et que Sigmund veut lui donner une psychanalyse. Les gardes de la geôle canine sont aux trousses de cette équipée sauvage, et dans ces terres frontalières du Mexique les mystères vaudous flirtent allègrement avec la métempsychose.

Une histoire désopilante.


48 pages, coll. Poisson Pilote - 9,80 €
Dans la même série, Le Fléau de Dieu,
"Une aventure rocambolesque d'Attila Le Hun"

(BD) Total souk pour Nic Oumouk

Manu LARCENET s'est lancé en 2005 dans une nouvelle série destinée aux jeunes lecteurs : ce sont les aventures de Nic Oumouk, jeune garçon un peu casse-cou et beaucoup malchanceux, dans une cité.

Le personnage éponyme est bien vite campé, et il est attachant de maladresse. On le voit un peu avec ses copains d'école. C'est la deuxième fois que Larcenet dessine les cours d'école, après Les Cosmonautes du futur. Il le fait avec beaucoup de talent, et une tendresse évidente qui peut rappeler Sempé.

Mais Nic Oumouk, en dehors de ses copains, de sa mère et de sa grand-mère, est aussi entouré de personnages plus improbables. Le premier d'entre eux est un vengeur masqué qui sévit dans la cité : Edukator, le correcteur d'orthographe, à mi-chemin entre Monsieur Mégot et Raymond Calbuth. Le second répond au nom de Yannick Noah, mais n'est pas tout-à-fait aussi pacifiste que l'original. En fait, il tient plus de la caricature Joey Starrienne, toujours accompagné de deux larrons, silencieux mais pourvus de gros bras qui impressionnent Nic Oumouk.

Yannick Noah Joey Starr va pousser Nic Oumouk à commettre quelques délits pour son compte personnel : « Comment que c'est dur, la vie de délinquant, je ne sais pas si je pourrai faire carrière... » Mais c'est Edukator le véritable roi de la jungle urbaine...


48 pages, coll. Poisson Pilote - 9,80 €

30 septembre 2006

(BD) La Guerre d'Alan

Alan Ingram Cope est un soldat américain qui débarque à la fin de l'été 1945 sur les côtes de Normandie. Le débarquement est bel et bien terminé depuis longtemps, et la mission du groupe motorisé auquel il appartient consiste au départ à stabiliser les zônes reprises aux Allemands.

Mais bien vite, Alan est emporté dans une sorte de fuite en avant, une ruée vers l'est qui va le projeter jusque sur le front russe. Le but non avouable de l'armée américaine étant alors de conquérir du terrain, et non seulement de restituer les zônes perdues par les populations locales... dérangeant pour le moins... et peut-être même cruellement actuel, allez savoir !

La Guerre d'Alan raconte surtout les mois et les mois d'entraînement d'Alan avant même qu'il embarque pour les côtes françaises. Les situations absurdes, propres à la préparation d'une armée en temps de guerre, s'enchaînent devant les yeux écarquillés du lecteur.

Il faut dire que le dessin est sublime. Il est le fait d'Emmanuel GUIBERT, qui est co-auteur du Photographe et de La Fille du professeur, entre autres. Un véritable auteur-dessinateur-journaliste de guerre-écrivain engagé, ce Guibert. Et aussi un formidable metteur en scène d'histoires.

Car Alan a vraiment existé, et il a confié à Guibert ses souvenirs de guerre, avant de disparaître récemment, emportant avec lui tout ce qu'il n'avait pas dit, et laissant à Guibert de simples enregistrements audio. Et comme Guibert nous avoue se documenter assez peu pour écrire, cela explique que le fond des cases soit souvent blanc...

Mais cela est une excellente illustration du principe qui veut que les contraintes les plus strictes permettent les plus grandes créations. En effet l'oeuvre ici rejaillit du passé d'un homme grâce à cette alchimie de Guibert, qui travaille de front les enregistrements audio, la masse des choses déjà sues déjà vues sur la guerre 39/45, et son propre style, réinventé.

Ce diptyque tient du Persepolis de Marjane Satrapi et du Photographe, tout en participant du souvenir et en touchant, on le comprend, Emmanuel Guibert de très très près. Alan Ingram Cope, ce soldat ordinaire, n'est pas mort.


86 et 94 planches, L'Association - 14 et 15 €

27 septembre 2006

L'Adieu aux armes

L'Adieu aux armes, roman d'Ernest HEMINGWAY, traîne une sale réputation derrière lui : paraît-il que ce serait rien de moins qu'un grand roman sur la guerre 14/18, et en même temps un des plus grands romans d'amour. Voyez le topo ?

Eh bien figurez-vous qu'avec ma toute petite culture sur ces deux sujets littéraires, l'amour et la guerre, je suis assez d'accord pour contribuer ici à perpétuer cette sale réputation.

Il faut dire que le gars Hemingway, prix Pulitzer en 1953 puis prix Nobel de Littérature en 1954 (vous excuserez du peu), s'y connaît un tout petit peu en écriture. Et en l'occurrence, ici, il donne avec talent dans l'épique et le lyrique. 'Fin je dis ça, mais en même temps, peut-être qu'il n'y a pas du tout d'épique dans L'Adieu aux armes. Peut-être que L'Adieu aux armes s'appuie même volontairement sur une écriture du quotidien tout bête pour ne pas dire tout absurde de soldats engagés sur le front italien. Ce bouquin n'est pas épique, donc, il est quotidien.

Quotidien peut-être, mais alors seulement pour l'époque. Parce qu'à distance, un roman qui témoigne comme cela sur la guerre 14/18, qu'Hemingway l'ait voulu ou pas, ça nous paraît épique, à nous qui vivont (c'est ce qu'on nous dit) en "temps de paix".

A vrai dire, L'Adieu aux armes traite probablement moins de la guerre que ne le font par exemple Le Feu de Henri Barbusse, Les Croix de bois de Roland Dorgelès ou A l'ouest, rien de nouveau d'Erich Maria Remarque. Car c'est avant toute chose un roman d'amour, lyrique, et avant tout une histoire vécue et douloureuse, plutôt qu'un "docu-fiction" (pour employer un terme contemporain qui évoque bien certains romans historiques).

Eh oui, Ernest, tout comme son double Frederic Henry, fut ce jeune officier américain engagé volontaire sur le front italien. Il tomba amoureux d'une infirmière, comme le lieutenant Henry tombe amoureux de Catherine Barkley, et comme il est blessé par une explosion, ils vivent une idylle estivale à l'hôpital militaire... Leur engagement réciproque vaut le mariage, mais pour célébrer celui-ci, ils préfèrent attendre la fin du carnage. Catherine tombe enceinte, et...

Un superbe roman, qui plaira j'en suis sûr à quelques habitués de ce blog. Allez-y en toute confiance, je vous le dis !


315 pages, coll. Folio - 6,40 €
On en parle très très bien sur cette page web très très moche.
Existe aussi le DVD, que je n'ai pas vu.
J'avais déjà lu cet été l'excellente nouvelle L'Etrange contrée.

25 septembre 2006

Métaphysique des tubes

Voici le deuxième roman que j'ai lu d'Amélie NOTHOMB. Cette fois, c'est un des "gros" titres...

Métaphysique des tubes reprend en fin de compte une période sur laquelle Biographie de la faim m'avait déjà renseigné : la p'tite p'tite enfance d'Amélie, entre 0 et 3 ans pour être précis, avec quelques anticipations, comme d'habitude, sur l'âge ado et l'âge adulte.

La narratrice prend le prétexte d'une métaphore filée sur le tube digestif ("moi" se résumant à "un tube") pour enquiquiner son lecteur sur 40 pages introductives. C'est la méthode Nothomb. On aime ou on n'aime pas. Il faut juste ne pas trop s'en inquiéter, car systématiquement au bout de 40 pages notre chère Amélie en a marre à son tour, arrête les jeux verbaux faciles et les blagues de comptoir et aborde à son vrai sujet.

Ici, donc, la tendre enfance, et ses premiers souvenirs. Jack Kerouac prétendait se souvenir très distinctement de sa vie à partir de ses trois ans, mais là j'avoue qu'Amélie Nothomb m'a bluffé : elle se rappelle jusqu'à sa naissance. "Aaaaahhh, mais noooooon, c'est vrai, c'est PAS autobiographique !!" Ouf, la précision sauve l'artifice romanesque...

Que dire ensuite, si ce n'est que Métaphysique des tubes se lit facilement et très agréablement, qu'il y a redite sur plusieurs dizaines de pages entre Métaphysique des tubes et Biographie de la faim (remarquez comme je joue à la redite à mon tour... ), et que somme toute c'est un peu moins subtil.

A lire pour se faire une opinion, tout comme Stupeur et tremblements. Mais si vous êtes prêts à découvrir un vraiment bon roman de Nothomb, choisissez plutôt - c'est mon avis - Biographie de la faim ou Le Sabotage amoureux.


162 pages, coll. Livre de Poche - 4,50 €

Biographie de la faim

Eh bien oui, ça y est : je me suis initié à Amélie NOTHOMB. Tout le monde connaît cette jeune auteure belge, dont plusieurs romans à succès ont été adaptés au cinéma. Stupeur et tremblements, avec Sylvie Testud, vient juste de repasser sur les petits écrans cette semaine, paraît-il.

Moi, sans ignorer les titres les plus connus, et sans ignorer tout du personnage médiatique non plus (comment cela se pourrait, puisqu'elle se prête volontiers à certaines émissions radio et aux talk-shows), je n'avais pas encore (eu envie de) franchi(r) le pas.

Or au détour d'un C.D.I. (ça va rappeler des souvenirs émus à certains et certaines, j'en suis sûr !), je me suis heurté (c'est une image) à une étagère débordante d'Amélie Nothomb. Soit, en gros, douze tomes de Stupeur et tremblements et trois ou quatre autres titres en un seul exemplaire. J'ai emprunté Biographie de la faim, et je l'ai lu dans le train. C'était bien !

Mais entrons dans le vif du sujet, car je ne me rappelle pas avoir autant abusé des circonvolutions introductives depuis mes débuts littérateurs sur la toile. Ceux qui m'aiment me le pardonneront bien.

Biographie de la faim, donc. Ou manière de découvrir Nothomb avec un titre qui indique plus clairement que d'autres que l'oeuvre est autobiographique. Il paraît que le débat agace l'écrivaine. Alors regarde bien, Amélie qui lit ces lignes (car je sais bien que tu les lis) : ton oeuvre EST autobiographique ! Gnark, gnark, gnark (je suis méchant). Argh, je ne vais pas y arriver, à parler du bouquin et du bouquin seulement...

Biographie de la faim, d'Amélie Nothomb, commence sur une présentation peu orthodoxe mais très wikipédiesque de Vanuatu, un archipel mélanésien oublié, anciennement (pas très) connu sous le nom de Nouvelles Hébrides lorsqu'il était encore administré par un condominium franco-britannique. Vanuatu, nous dit Nothomb, c'est le pays où la faim n'existe pas, n'a jamais existé. De ce postulat s'ensuit une quarantaine de pages plus ou moins loufoques, où le thème de la faim est exploité jusqu'à épuisement des ressources, comme s'il s'agissait de justifier le titre à tout prix.

La narratrice se reconnaît par inversion dans le destin de Vanuatu : elle, elle a toujours eu une faim inextinguible, irrassasiable, comme son père, Patrick, un mangeur invétéré, un avaleur fou, un diplomate glouton. Si bien que l'enfance de la narratrice commence pour ainsi dire avec cette affirmation : "je suis Patrick", répétée à volonté lors des réceptions à l'ambassade. On imagine Amélie avalant des pyramides de Ferrero rochers, gavée de Nutella.

Des ambassades, la narratrice en connaîtra plusieurs, et les souvenirs qu'elle évoque dans ce récit concernent une large période, entre 1971 et 1995, qui contiennent l'enfance, l'adolescence, la mort de l'enfance et le passage à l'état d'adulte. Les lieux ? Le Japon, La Chine, puis New York, puis le Bengladesh : un parcours de contrastes, c'est le moins qu'on puisse dire ! Le volume se termine avec les souvenirs du Japon sur lesquels il a commencé (vers la page 40, donc), vingt-cinq ans ont passé et le monde de l'enfance est perdu.

J'ai énormément aimé Biographie de la faim, qui en un seul tome réunit les expériences de Métaphysique des tubes (petite enfance d'Amélie), du Sabotage amoureux (fin de l'enfance, premier amour) et évoque même la période de Stupeur et tremblements (première expérience professionnelle au Japon). Une sorte de "meilleur de" Amélie Nothomb, en quelque sorte, où certes le déroulement du temps s'accélère sur les dix dernières années, qui ne sont pas évoquées pour elles-mêmes, mais simplement pour le retour de souvenirs plus anciens. Les passages du Japon à la Chine, puis de la Chine à New York, sont fascinants. La période new yorkaise est menée dans une atmosphère woody-allenienne, la narratrice se prenant d'un amour fou pour la jeune fille au pair qui s'occupe d'elle, une étudiante belge à la beauté suédoise qui rappellera Mariel Hemingway à tous les fans de Manhattan. Jamais lavomatic, buildings et ascenceur ne m'avaient paru si romantiques.

Une lecture initiatique très concluante !


240 pages, Albin Michel - 16,90 €
ou 192 pages, coll. Livre de Poche - 5,50 €

24 septembre 2006

(BD) Guide de la survie en entreprise

Que dire du Guide de la survie en entreprise de Manu LARCENET ? C'est un volume au ton satirique, qui tombe parfois juste, et parfois se contente d'idées reçues dont on serait tenté de faire le dictionnaire, édition 2006.

Les chapitres se suivent, dans un guide à l'apparence très organisée, et traitent de l'actionnariat, du C.V., ... Un personnage, prototype du dur à cuire, intervient à l'improviste en décalage complet avec ce monde de l'entreprise : c'est Congo Bob, sorte d'Indiana Jones. Parce que Congo Bob réapparaît en début et en fin de chapitre, on peut croire que l'entreprise nous est présentée à travers de petits contes.

Mais les contes satiriques, c'est une chose, et le "Guide de... " c'en est une autre. Manu Larcenet prend les thèmes les uns après les autres dans cette série : Guide du mikado à l'usage des tétraplégiques, Guide du libertinage en Afghanistan, Guide de la schizophrénie en famille... Ne serait-ce que dans les titres, on perçoit bien-sûr l'humour noir. Deux volumes "hors collection" s'intitulent même Comment rire de son amputation et Bien vivre sa mort.

Alors soit, ces quelques 48 pages sont drôles, et nous permettent de rire de nos préjugés les mieux partagés (le patron sadique, l'employé maso, l'occultisme des conseils d'administration... ). La présence insolite de Congo Bob, et le titre en "Guide de... " devraient donner une unité à cette série. En fait, à l'intérieur de ce seul volume, on a l'impression d'un fourre-tout, voire d'un trop plein. Manu Larcenet, tout en ne connaissant peut-être rien lui-même du monde de l'entreprise, déborde de discours vachards à l'encontre de celui-ci.

Il me semble qu'en organisant chaque volume comme un véritable recueil de contes satiriques, mieux renseignés et permettant une lecture allégorique, l'auteur éviterait l'humour incertain, et les préjugés. Bref, ça a quand même bien le mérite d'être assez inclassable. Mais à moins d'être un fan inconditionnel de Larcenet, vous ne trouverez sans doute pas dans ce volume de quoi envisager une seconde lecture. D'autres titres du même auteur sont prioritaires : voyez dans la section "BD" du menu ci-contre !


48 pages, Fluide Glacial - 9,45 €

(BD) Le Retour à la terre, tome 4

Me refusant à acheter des bouquins pendant un an, et comme cette idée concerne aussi les BD, la sortie du tome 4 du Retour à la terre de Larcenet et Ferri était un comme défi lancé à ma détermination. J'ai réussi à le dénicher et à le lire sans rien débourser : vivent les échanges de bons procédés !

Tome 4, intitulé "Le déluge", où l'on retrouve évidemment notre couple de héros, Manu et Mariette, résidant toujours aux Ravenelles, loin de leur Juvisy originel. Les fans de Speed le chat seront déçus : il a disparu de la circulation. Par contre, il y a le môme qui grandit, et que Manu semble parfois traîner derrière lui comme un boulet.

Mariette est un personnage de moins en moins consistant. Tout est centré autour (du nombril) de Manu, de son boulot et de ses états d'âme. Mariette est une sorte de jeune femme au foyer à la profession et à la vie sociale indéterminées. C'est un peu dommage pour l'intérêt de cette série. Espérons que Ferri et Larcenet tenteront d'y remédier prochainement.

Par ailleurs, nos deux compères du cru, la vieille Mortemont et Monsieur Henri, s'effacent un peu eux aussi. Le second sert de prétexte à un gag déjà exploité plusieurs fois : celui des boeufs musicaux improvisés chez Manu et Mariette. Mortemont connaît quand même son heure de gloire grâce à une escapade surréaliste dans le milieu des éditeurs parisiens. Franchement désopilant. Le frère de Manu, enfin, subit peu ou prou le même sort que toute le reste de la galerie : il disparaît progressivement, n'ayant même plus droit à la parole.

En bref, on aimerait que dans Le Retour à la terre, la posture du gag ne devienne pas systématique. On aimerait que la profondeur du Combat ordinaire soit un peu contagieuse. Sans cela, on voit à quelle vitesse tous les personnages au départ si attachants vont devenir des marionnettes, simples mécanismes répétitifs d'une machine à gags.


48 pages, coll. Poisson Pilote - 9,80 €
Les trois premiers tomes sont présentés par ICI

19 septembre 2006

Dans le train, épisode 3

Dans le train ce mardi 19 septembre, j'ai lu quelques nouvelles fantastiques, ou en tout cas mystérieuses...

En vrac :

- "Continuité des parcs", de Julio CORTAZAR (1914-1984) : un homme lit dans le train. Il va retrouver dans sa grande demeure solitaire. Arrivé chez lui, il s'assied dans le grand fauteuil du salon. L'histoire est prenante : c'est celle d'un adultère qui se termine par un meurtre. L'homme est tellement plongé dans sa lecture, qu'il ne voit pas qu'on a bougé derrière lui... Fascinant !

- "Cycle de survie", de Richard MATHESON (né en 1926), auteur du très fameux "Journal d'un monstre". Un écrivain médiocre, Richard Allen Shaggley, s'excite sur son dernier manuscrit. Son secrétaire, le porteur qui emporte le manuscrit chez l'éditeur, l'éditeur lui-même, puis tout le monde jusqu'au revendeur du kiosque partage l'enthousiasme de Shaggley. Bizarre... Une nouvelle très inventive. On pense aux vertiges des Fictions de Jorge Luis Borges.

- "Le Dragon" de Ray BRADBURY (né en 1920) : une histoire qui se joue des époques par suggestion au lecteur.

- "Une petite distraction", de Gérald KERSH, sur l'ennui des soldats en temps de guerre.

- "Tristesse de Columbkill", de Pierre MICHON (né en 1945). Poétique et barbant à souhait.

18 septembre 2006

Le Nouvel accélérateur

Quand un narrateur écrivain rencontre un inventeur trop inventif, de quoi parlent-ils ?

La réponse se trouve en partie dans cette nouvelle de Herbert George WELLS (1866-1946), auteur de La Guerre des Mondes et de L'Homme invisible, sorte d'alter ego anglais de notre Verne national (et Nantais).

Wells, contrairement à Verne, ne prête pas une confiance sereine à la science de son époque. Ce récit pourrait ainsi parfaitement illustrer que « science sans conscience... » L'objet de la découverte, c'est un elixir vert, qui permet à celui qui l'avale de se mouvoir plusieurs milliers de fois plus rapidement que le commun des mortels. Les conséquences ? Le sujet voit le monde comme presque arrêté, durant la courte période que dure l'effet du produit sur son organisme.

Les avantages ? Principalement l'idée d'une productivité accrue dans un temps donné, idée qui séduit beaucoup le narrateur écrivain. Ensuite, la faculté de se rendre invisible aux autres, par le fait que la persistence rétinienne n'a pas le temps d'imprimer des mouvements aussi rapides.

Les inconvénients ? Ils sont de deux natures, principalement. D'abord, matériellement parlant, le mouvement des individus ainsi "accélérés" provoque des brûlures sur les matériaux (bord des fenêtres, pelouse... ), qui ne manqueront d'intriguer. Ensuite, le produit une fois mis dans le commerce pourra faciliter les larcins de tous genres.

Pourtant, rien ne semble arrêter le professeur Gibberne de lancer son "Nouvel accélérateur" dans le commerce, car il compte vivre de ses trouvailles les plus irraisonnables. A moins qu'il n'ait convoqué son ami écrivain pour un dernier avis ?


28 pages, coll. Mille et Une Nuits - 2 €
HG Wells sur Wikipedia

16 septembre 2006

(BD) Paul dans le métro

Sous ce titre rappelant la Zazie de Raymond Queneau sont rassemblées des saynètes dessinées par un Québécois (et non un Canadien, même si franchement, quelle est la différence... ... hé hé :)), Michel RABAGLIATI. Paul est à l'image de son aînée littéraire un ado qui transforme par le simple fantasme enfantin le métro en terra incognita, et plus largement Montréal en véritable parc d'attractions déserté par le public : galeries marchandes, vestiges de l'exposition universelle... Nous sommes en 1971, l'auteur se souvient de sa propre enfance.

Dans Paul dans le métro, et autres histoires courtes, vous trouverez aussi "Paul défait ses boîtes", "Radio cuisine" ou encore "Men in black", trois histoires concernant Paul devenu adulte. Mais l'histoire la plus attachante et la plus vraie, c'est "Paul à la quincaillerie" : le narrateur nous fait une démonstration limpide des différences de perception entre un homme et une femme, avec pour exemples la tuyauterie d'une maison, une voiture, un toit.

Les femmes ne sont jamais dépitées devant la comlexité d'une création humaine, alors que les hommes peuvent discuter des heures de cette complexité, la décortiquer pour rationnaliser et ainsi, sans doute, se rassurer. A l'inverse, devant un spectacle dépourvu d'apparente complexité, ou en tout cas de "technicité", tel une simple plage, les hommes se tiennent béats, alors que les femmes, pas troublées, redeviennent volubiles.

Très drôle, et tellement vrai !

Le dessin du Canadien Michel Rabagliati respecte le style des comics américains des années 60, qui ont sûrement constitué la lecture favorite de l'auteur durant son enfance. On accroche ou pas. C'est du noir et blanc. Il n'y a pas d'inventivité particulière dans l'agencement des cases, mais les histoires sont bien racontées, bien mises en scène. Je trouve néanmoins leur intérêt assez inégal, mais c'est affaire de goût personnel.

Vous trouverez chez le même éditeur Paul a un travail d'été, Paul à la pêche, Paul en appartement, Paul à la campagne. Non, sans blague ! Sorte de glissement des références littéraires, entre Zazie et Martine...


91 pages, éd. de la Pastèque - 13 €

« Eloignez-vous de la bordure du quai, s'il vous plaît »

Voici une nouvelle façon de parcourir le BàL. Pour une fois, faisons fi des critères littéraires ou esthétiques : ce sont ici, tout simplement, des lectures faites sur la route, dans les airs, au gré des flots ou sur les rails.

"Les possibilités sont infinies", comme on dit dans les pubs...

Alors venez vous z'aussi nous raconter z'ici les meilleures z'ou les pires lectures que vous z'avez faites lorsque vous z'étiez entre z'ici z'et là... c'est-à-dire nulle part.

Vous z'avez suivi ?


Dans le train : épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4, épisode 5, épisode 6, épisode 7

Dans le car : épisode 1

Dans les vouatères : épisode inédit et unique ... et ne me dites pas que les W.C. n'ont rien à voir avec le transit !

15 septembre 2006

Apparitions

Apparitions est une intrigante nouvelle d'Ivan TOURGUENIEV (1818-1883), grand écrivain russe, proche de Gustave Flaubert. Elle est traduite par l'un des pontes du fantastique français : Prosper "Youplaboum" Mérimée.

Un narrateur à forte coloration autobiographique cherchait le sommeil. La lune monta dans un ciel dégagé. Surgit un nuage, il était minuit.

A ce stade, un néon clignotant indique "fantastique - fantastique - fantastique... "

Et là, « ce fut une apparition » (tenez, retrouvez-moi l'origine de cette citation, pour voir si vous avez de la culture, messieurs dames les lecteurs/-euses). Un fantôme en robe blanche ("fantastique - fantastique... ") donne rendez-vous à notre homme sous le vieux chêne décati. La robe blanche, le tronc, cherchez Freud chez Tourgueniev, vous comprendrez tout.

L'écrivain ne se rend pas au premier rendez-vous, pensant avoir rêvé. Alors fantomette revient, et le gronde un peu. Alors après il y va, sous le gros chêne près du bois joli. En pleine nuit, forcément, parce que vous avez déjà vu un fantôme se balader en plein jour, vous, non mais franchement ?

L'apparition, c'est un peu le charter russe du XIXè siècle : elle va enlever notre homme craintif dans les airs, et lui faire survoler Paris, Rome, les sinistres côtes anglaises d'où elle dit provenir, car elle s'appelle Ellis, cette tourbillonnante exilée de la vie, alors il fallait bien qu'elle eût une île à elle.

Vous apprendrez tout sur certaines espèces d'oiseaux, vous suivrez un troupeau de grues (ça peut arriver), vous lècherez le gason frémissant, et verrez rougir les joues du spectre lumineux. Bref, Tourgueniev vous convie à une aventure onirique, de composition éclectique, et vaguement philosophique. Où est le hic ?


45 pages, coll. Mille et Une Nuits - 2,50 €
Tourgueniev, pour les intimes Wiki

Le Diable amoureux

Jacques CAZOTTE (1719-1792) a probablement écrit la première nouvelle fantastique de la littérature française, voire européenne. Il s'agit du Diable amoureux, publié en 1772, où l'auteur imagine un jeune homme, Alvare, militaire d'origine espagnole mais servant en Italie.

Avec son cercle d'amis, il fait la bringue chez l'un chez l'autre. Le soir où commence cette histoire, c'est chez le plus âgé d'entre eux qu'il se rend. L'on y disserte sur la Cabale et l'occultisme. Alvare reste silencieux, observant ses camarades. Au départ de la compagnie, il s'attarde chez son hôte. Celui-ci l'interroge alors : pourquoi n'a-t-il rien dit ? Croit-il ou pas à l'autre monde ?

Alvare est sceptique. Soberano, son aîné, lui fait alors la démonstration tangible que les Esprits existent, et qu'on peut les soumettre.

Notre héros, un peu fanfaron, n'entend pas se laisser impressionner au premier coup de chaud. Il relève le défi de Soberano, et le suit dans des ruines à l'écart de Naples. Là, il doit invoquer Béelzébuth à trois reprises. Le diable va entrer en scène, mais pas sous la forme qu'on pourrait imaginer...

S'ensuit un amour bizarre, itinérant à travers l'Italie et l'Espagne, condamné à se terminer bien mal. En bon Espagnol, Alvare ne devra son salut qu'à sa sainte mère.

Une nouvelle un peu folle, et pourtant Cazotte n'allait perdre la tête que vingt ans plus tard (hi hi)...


90 pages, coll. Mille et Une Nuits - 2,50 €
Cazotte se décapite pour vous sur Wikipedia