17 décembre 2006

(BD) Jimmy Corrigan

Commencé sérieusement il y a plusieurs mois, feuilleté distraitement des milliers de fois, je viens de lire en deux journées, hier et aujourd'hui, l'œuvre cathédrale de l'Américain Chris WARE, Jimmy Corrigan, the smartest kid on earth.

« Il y a dans la vie de certains des moments - à vrai dire des jours, des semaines, voire des années - dominés par le sentiment palpable que toute activité est dénuée de sens. (...) Dans de tels moments, et dans beaucoup d'autres passés sous silence, nombre d'entre nous recherchent une forme quelconque d'apparat pour faire diversion, ou nous consoler. On peut aller au cinéma du quartier, allumer la boîte à images, manger un gâteau, dans l'espoir de trouver quelque chose qui nous titille, ou mieux, et beaucoup plus rarement, qui apporte un écho compatissant à notre situation personnelle, soit par des faits, soit par un principe général de philosophie. Dans tous les cas, le succès d'une telle entreprise dépend tout d'abord de la qualité du sketch, du feuilleton, ou de la friandise consommée, et de si les auteurs manifestent un réel intérêt pour ces questions ou s'ils n'en attendent que du profit. Dans le dernier cas, il est probable que le tissu principal de notre expérience sera marqué par l'intention générale de l'auteur de distraire, ou d'amuser ; dans le premier, par le désir de l'auteur de rendre tous les autres aussi malheureux que lui. L'individu intelligent devrait donc conclure qu'en règle générale, la recherche de l'empathie dans l'art est vouée à l'échec, juste bonne pour les niais ou les laids, qui n'ont rien d'autre à faire pour s'occuper. Par ailleurs, s'apitoyer sur soi-même est peu élégant et de tels "moments difficiles" finissent toujours par passer, ou sinon, heureusement du moins pour les autres, le suicide reste bien-sûr une option.
Quoi qu'il en soit, la majorité des acheteurs de ce livre est sans doute composée de gens dynamiques, séduisants, sexuellement épanouis, pour qui le chagrin n'est qu'une abstraction, ou au pire un désagrément dont peut venir à bout un traitement onéreux. Ils espèrent donc trouver quelque chose qui les titille ou les amuse passagèrement, rehausse leur "look", ou les inscrive dans leur époque, et ils ont assurément fait le bon choix, car le medium de la bande dessinée auquel recourt cet ouvrage ne recèle aucun espoir de jamais exprimer autre chose que les sentiments les plus mesquins et les plus superficiels. Mieux, le livre n'a nul besoin d'être lu, il suffit de le placer bien en vue comme symbole de sa propre exhubérance juvénile, au même titre qu'une voiture tape-à-l'oeil, ou de la musique du Sud des Etats-Unis jouée par un aristocrate. »



380 pages, éd. Delcourt - 45 €

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est un livre formidable !

Nicolas a dit…

Je suis comme toi, Malaurie : je n'ai pas trouvé autre chose à dire. C'est effectivement un livre monumental !