31 août 2007

"Une journée à Coney Island"

Dans le recueil La Couronne de plumes, Isaac Bashevis SINGER (1904-1991) publie seize nouvelles et un avant-propos. Une histoire sur deux se situe dans la Pologne de la fin du XIXè s., au sein de la communauté juive provinciale. La narration y est assez impersonnelle ; parfois le récit est à la troisième personne, et toujours le narrateur s'efface de son récit.

Mais une histoire sur deux — et huit nouvelles sur seize — met en scène un narrateur d'origine polonaise fraîchement débarqué à New York la cosmopolite pour tourisme (officiellement), dans les années 1920-1930. A l'époque, il fait bon ne pas être de confession juive en Pologne, voire en Europe de façon générale.

Les nouvelles polonaises sont documentées et extrèmement littéraires, comme "La Tempête de neige" où interviennent une profusion de récits enchâssés et à peu près tous les codes du merveilleux médiéval (Cf. Marie de France). Les nouvelles new-yorkaises a contrario semblent beaucoup plus spontanées. L'auteur s'y montre doucement ironique, et verse volontiers dans l'autodérision. Les conversations, les situations, bref tout ce qui est observé par le narrateur sent le vécu à plein nez, et sonne vrai. Et dans ces moments, I.B. Singer est juif comme J. Fante est italien, c'est-à-dire accessoirement.

Dans ces ambiances de café et de racontars, que j'adore, "Une journée à Coney Island" raconte les premières désillusions amoureuses, et "Une histoire d'anarchistes" la fin des idéalismes politiques au XXè s. (pour des raisons triviales propres à l'esprit petit bourgeois). On pense à Jack London dans Le Talon de fer.

Bref, les nouvelles américaines de I.B. Singer, pour moi, c'est de la très grande littérature.

La cinquième nouvelle du recueil, "Le Fils qui venait d'Amérique", réunit la Pologne et les U.S.A. ; elle mérite à elle seule un autre billet...


"Une journée à Coney Island", 26 pages
"La Tempête de neige", 32 pages
"Une histoire d'anarchistes", 24 pages
in La Couronne de plumes, 452 pages, coll. La Cosmopolite Stock - 11 €

28 août 2007

Le Club des parenticides

C'est le titre d'un petit recueil de trois nouvelles écrites par Ambrose BIERCE (1842-1914 env.), et ça commence comme ça :

« Une journée de 1872, au petit matin, j'ai tué mon père — cela ma beaucoup marqué à l'époque. »

Cette première phrase peut vous rappeler, peut-être, les premières lignes de L'Etranger d'Albert Camus :

« Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : "Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués." Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. »

Le détachement est similaire. Mais Ambrose Bierce se fait rapidement beaucoup plus mordant que Camus. Alors que Camus en 1942 écrit un roman pour illustrer son propos philosophique, Ambrose Bierce écrit furieusement, il veut avant tout se montrer grinçant, provocateur, et philosophiquement parlant, c'est l'anarchie, ou bien le retour de l'homme civilisé à l'état bestial.

J'aime beaucoup la première nouvelle, "A l'épreuve du feu", dont est tirée la première phrase ci-dessus. Si ce n'est qu'elle se termine abruptement et qu'elle ne présente pas de chute : juste un dernier mot. La troisième nouvelle, "L'Hypnotiseur", est mieux composée sur ce point, mais sa structure narrative s'alourdit de plusieurs intrigues secondaires, des épisodes distincts dans le temps s'enchaînent sans transition... bref, ça aurait fait un bon roman, ou en tout cas plusieurs chapitres.

C'est pourquoi la nouvelle que je préfère dans ce recueil, c'est la deuxième, "Huile de chien". Sarcastique à souhait sur le plan religieux, politique, elle démolit également l'image proprette de la petite famille bourgeoise fin XIXè s. Jugez plutôt : le narrateur raconte après coup (mais quand exactement ?) un épisode "lamentable" de son enfance. Son père travaille dans un atelier où il passe des chiens à la marmitte pour obtenir de l'huile de chien, que tous les médecins de la ville prescrivent à leurs patients. Sa mère officie derrière l'église : elle élimine des bambins dont on ne veut pas, ou plus. Le narrateur, encore enfant, accomplit sa besogne pour aider ses parents. Ainsi une nuit, il va chercher un cadavre dans la boutique de sa mère, dans le projet de s'en débarasser dans la rivière, comme à son habitude. Mais son chemin croise celui d'un policier suspicieux et il se réfugie bien vite dans l'atelier de son père en empruntant une porte dérobée. Là, la marmitte bout encore, faisant remonter de temps en temps des bouts de chiens. La tentation est trop grande et le narrateur balance son cadavre dans l'huile de chien. C'est le début d'un succès commercial insoupçonné...

Ambrose Bierce montre dans ces trois textes un talent de conteur mêlé d'un goût presque douteux pour l'humour scabreux. Les nouvelles sur le plan formel sont quasiment idéales, et les intrigues ont un mérite énorme : elles intriguent durablement, tout comme leur auteur...

Né le 24 juin 1842, Ambrose Bierce est le dernier de dix enfants. En 1913, fâché avec à peu près toutes les sociétés qu'il a fréquentées et âgé de 71 ans, et puis alcoolique et puis asthmatique, il se rend au Mexique pour se joindre à l'armée de Pancho Villa, qui mène la guerre civile. Il disparaît après avoir écrit une dernière lettre dans laquelle il affirme son désir de trouver la mort sur le front. Et on ne sait plus rien ensuite.


46 pages, éditions Sillage - 5 €

26 août 2007

"La Couronne de plumes"

C'est la première nouvelle éponyme d'un recueil de Isaac Bashevis SINGER (1904-1991), écrivain d'origine polonaise, prix Nobel de littérature en 1978. La Couronne de plumes a été publié en 1973 dans la langue américaine d'origine.

"La Couronne de plumes", c'est l'histoire d'une jeune fille juive, Akhsa. Orpheline, elle est élevée par Nesha, sa grand-mère, et reb Naftali, son grand-père. Akhsa réunit tous les talents, tous les dons qu'on peut souhaiter à une jeune fille. Elle est encore très jeune lorsqu'on cherche à la marier, mais sa grand-mère se montre très exigeante sur le choix du prétendant... tant et si bien que lorsque Nesha meurt, la question n'est pas encore tranchée.

Reb Naftali décide alors de prendre les choses en mains et, lui-même étant bigot, il choisit comme époux pour sa petit fille un petit homme sans charme et rabougri, intégriste et violent, nommé Zemach. Akhsa n'est pas très enthousiaste, mais ne se voit pas contrarier le souhait de son grand-père. Le jour du mariage, pourtant, elle entend la voix de sa grand-mère s'écrier à son oreille « On t'a refilé de la camelote ! » Et elle dit "NON".

Dès lors, isolée dans sa chambre, elle dépérit de honte. Et son grand-père en fait de même. Au bout de quelques jours elle quitte le lit, mais pour son grand-père il est déjà trop tard : cette contrariété a été l'épreuve de trop, il meurt déçu.

Akhsa, en proie aux valeurs dans lesquelles elle a été éduquée, esclave de toutes les formes de soumission et de superstition, passe alors par tous les états nerveux et tous les tourments possibles. Elle rencontre alors un châtelain chrétien qui l'amène à renier la foi juive et à se convertir. Elle l'épouse et vit bon train un court moment. Puis il l'abandonne.

Alors Akhsa, apercevant la dernière voie, celle de la rédemption, abjure une nouvelle fois ses croyances et part sur les routes à la recherche de son "fiancé" pour qu'il absolve sa vie de péchés...

Religieusement parlant, c'est du lourd, du costaud que cette intrigue pondue par un juif polonais. Mais Isaac Bashevis Singer écrit magnifiquement et montre un vrai talent de conteur. Il s'agit bien sûr de critiquer le poids de la religion, et de dénoncer une vie vécue pour rien, dans l'erreur des fanatismes et de la soumission volontaire. Mais la langue reste simple, le ton n'est pas sentencieux ni moraliste, les dialogues sont vivants et sonnent vrai, et me rappellent Le Chat du rabbin.

Et c'est publié dans cette très belle collection La Cosmopolite, aux éditions Stock. Façon pour moi de boucler la boucle de mes lectures d'été. Si vous me suivez...


50 pages, in La Couronne de plumes, coll. La Cosmopolite - 11 €

25 août 2007

Saul Bellow, Jorge Luis Borges et nous

J'ai acheté Mémoires de Mosby, des nouvelles publiées en 1968 par le prix Nobel de littérature de 1976, alias Saul BELLOW (1915-2005). Et j'ai commencé à lire la première nouvelle.

C'est l'histoire d'une petite bonne femme rabougrie, Hattie, qui vit seule dans une maison qu'on lui a légué près d'un lac, à 800 Km de San Francisco et à 350 Km de Salt Lake City. Hattie a deux familles pour seuls voisins autour du lac. Et la nouvelle commence lorsque ses voisins commencent à se dire qu'il serait temps de veiller vraiment sur elle, parce qu'elle débloque sérieusement.

Incapable de jamais prendre la moindre décision dans sa vie, Hattie ne cesse de geindre. L'héritage de la maison lui est tombé dessus pas hasard, mais elle n'avait rien à faire là, près du lac, et elle n'a aucun moyen de continuer d'y vivre. Elle picole un maximum.

Au bout de 40 pages, sur les 75 environ que compte cette première nouvelle du recueil, j'ai dû abandonner. Ça n'est pas que l'histoire ne me plaisait pas : les intrigues situées par Brautigan dans le fin fond du Montana ou de l'Oregon ne sont pas forcément plus passionantes en elles-mêmes. Mais le narrateur de cette histoire de Hattie connaît tout, sait tout, déclare tout comme s'il était Dieu. Et l'écriture de Saul Bellow est des plus plates. Son sens du portrait psychologique est préoccupant. Page 32, Hattie est "en fureur". Page 34, dans une autre situation, elle ressent... "de la fureur". Et page 36, dans une troisième situation... « Mais au fond de son cœur, Hattie était furieuse. »

Pitié.

Après cette déconvenue, j'ai essayé d'aller à la nouvelle éponyme, "Mémoires de Mosby", car c'est ce titre qui m'avait attiré. Ça n'avait pas l'air mauvais, et le point de vue narratif, autrement dit la focalisation, était moins omnisciente, comme on dit dans le jargon.

Mais trop tard : je n'ai pas réussi à m'y mettre. C'est extrêmement rare que j'abandonne un livre en cours de route par rejet de l'écriture, mais voilà. Jorge Luis Borges (1899-1986), écrivain et poète argentin bien connu, disait que la littérature était faite pour procurer du plaisir aux lecteurs, et qu'il ne fallait pas lire pour autre chose que pour chercher du plaisir. Borges, bien qu'aveugle à la fin de sa vie, me paraît très clairvoyant.

Qu'en pensez-vous ?

23 août 2007

Nat Tate

Nat Tate est, comme l'indique le sous-titre de cet ouvrage signé William BOYD, « Un artiste américain (1928-1960) », un peintre ayant appartenu à "l'école de New York", rendue célèbre par Jackson Pollock.

Beau comme Jack Kerouac, il est mort comme Jack London. Adepte de Crane, Braque le fit involontairement trépasser. Bref, une bien belle galerie de célébrités du monde des arts et des lettres peuple la biographie de Nat Tate, reconstituée ici d'après des documents d'archives et une iconographie remplie de pièces rares par un William Boyd en verve, manifestement fasciné par son sujet.

Vous trouverez ici reproduites deux esquisses de Nat Tate de sa fameuse série des « Ponts », agrémentées d'une explication savante de William Boyd commentant la période concernée dans l'œuvre du jeune peintre. Vous croiserez également le regard de Picasso, de Braque, que Tate rencontre en Europe lors d'un voyage initiatique en 1959. Vous verrez les lieux, on vous dira le pourquoi et le comment.

Et alors que vous commencerez à être sérieusement intrigué par le portrait de cet illustre inconnu, le jeune peintre prometteur Nat Tate, celui-ci vous tirera sa révérence, sans plus de ménagement que n'en userait un journaliste indiscret en vous révélant qu'il s'agit là d'un vaste canular, d'une biographie intégralement fictive sortie de l'esprit forcément pervers de William Boyd.

Moi, j'aime beaucoup quand le littéraire devient faussaire.


89 pages, coll. Points Seuil - 5,95 €

19 août 2007

Qu'avez-vous lu cet été ?


Trêve de bavardages, je vous propose de nous dire en deux trois lignes, grâce aux commentaires, ce que vous avez lu cet été. Bon, ou pas bon !

A vos claviers... prêts ? ... P A R T E Z ! !

09 août 2007

Belle de Candeur

De ce roman érotique chinois, il n'y a que la réputation sulfureuse qui soit absolument certaine : les experts se disputent pour dater le texte : fin de la dynastie Ming, ou bien dynastie Qing ? En langage courant : maxi. XVIIè s., ou bien quelque part entre la fin du XVIIè s. et le début du XXè s. ? Cette édition penche pour la première hypothèse, et j'avoue qu'à la lecture, en observant les codes, les tournures langagières, les répétitions voulues... sans rien connaître à la littérature chinoise, je penche aussi de ce côté.

Deux éditions du texte existent mais c'est le même texte. La traduction me paraît ici de qualité, et la présentation se veut sérieuse, voire austère. C'est qu'il faut prendre de grands airs pour annoblir un texte aussi polisson, sans doute. Du moins est-ce une conviction répandue chez les gens qui ne sourient pas en écrivant. :)

L'auteur n'est pas identifié, mais le narrateur signe à la fin de son récit : « Moi, Xian Chuan, ai trouvé cette histoire étrange en feuilletant les chroniques et vous l'ai racontée pour que jamais elle ne se perde. »

Belle de Candeur se veut donc la chronique officieuse, l'archive historique des faits méconnus qui expliquent l'Histoire avec un grand H. En effet, tout le récit s'appuie sur des grands faits historiques de la "période des Printemps et des Automnes" (722-481 av. J. C.) et d'importants personnages de l'Histoire chinoise prennent part dans l'action. On pourrait croire dès lors que le récit n'est que de l'Histoire romancée, avec quelques saupoudrages d'érotisme par-ci par-là. Mais Belle de Candeur érige l'érotisme en véritable art de vie, et Su E, alias Belle de Candeur, alias dame Xia, alias Yunxiang en est l'incontestable impératrice.

Eduquée dès l'adolescence aux subtilités du sexe par un immortel qui lui est apparu en songe, Belle de Candeur possède l'art de "resserrer sa vallée" et d'aspirer les forces de vie de ses partenaires. Et comme ceux-ci seront nombreux dans ces 178 pages, et plus vaillants les uns que les autres (du moins avant de dépérir, pour la plupart dans des circonstances honteuses), Belle de Candeur sera à cinquante-quatre ans et après un enfant aussi belle, aussi fraîche et aussi "étroite" qu'à seize. Ce qui attise les convoitises, vous l'imaginez bien.

Le récit vaut pour la variété des scènes, mais aussi pour son appui subtil sur l'Histoire chinoise. Vers les deux tiers du volume, on s'émerveillera du passage de deux hommes dépravés aux enfers... mais qu'on ne s'inquiète : Belle de Candeur, elle, restera impunie pour sa vie de luxure. Mieux : elle accède elle aussi au statut des immortels.

L'érotisme asiatique est décidément une curiosité. Si vous cherchez l'excitation, peut-être la trouverez-vous, ou peut-être pas. La tradition érotique française me semble beaucoup plus "efficace" sur ce plan, tout en étant d'un incontestable intérêt littéraire.


179 pages, coll. Picquier poche - 7 €

08 août 2007

Le Doudou méchant

C'est une jolie histoire de lutins à groin de porc, et le jeune Oups en est le héros. Ses parents doivent s'absenter et Oups reporte toute son affection sur un doudou qu'il vient de dénicher dans le grenier-capharnaüm.

Les parents de Oups lui recommandent d'être bien sage avec les gens du village, et de ne pas jouer autour de la tête de poisson, qui se trouve posée sur une clôture en bois à l'entrée du village, et en même temps suspendue à une ligne de pêche qui disparaît hors la case, dans le ciel orangé qu'on n'aperçoit qu'à peine.

Pourquoi ne pas jouer autour de la tête de poisson, qui se trouve posée sur une clôture en bois à l'entrée du village, et en même temps suspendue à une ligne de pêche qui disparaît hors la case, dans le ciel orangé qu'on n'aperçoit qu'à peine ? Parce que plusieurs enfants ont disparu en jouant autour de la tête de poisson, qui se trouve posée sur une clôture en bois à l'entrée du village, et en même temps suspendue à une ligne de pêche qui disparaît hors la case, dans le ciel orangé qu'on n'aperçoit qu'à peine.

Et que croyez-vous que va faire Oups ? Et qui, pensez-vous, l'y aura poussé ?

Le qui et le quoi sont connus de tous les lecteurs de contes. Pour le pourquoi et le comment, fiez-vous au talent de Claude PONTI, qui en 52 pages de papier glacé joue avec l'espace, les plans, les perspectives, et recrée une mythologie bien à lui, où les montagnes ne sont que momentanément endormies, où les monstres dévoreurs d'enfants ont l'air de crabes prêts à passer à la marmite.


52 pages, coll. "Lutin" de l'Ecole des Loisirs -

07 août 2007

Tromboline et Foulbazar

Pas mal de jeunes enfants (et leurs parents) sont passés par ici ces dernières semaines. Ça donne lieu à des échanges de fringues, de jeux, de livres.

Dans cette dernière catégorie, Claude PONTI est à l'honneur. Je ne connaissais pas cet auteur prolifique et talentueux, honte à moi. Vous ne connaissez pas cet auteur prolifique et talentueux ? Honte à vous !

Je viens de lire Le Bébé bonbon et Le Nuage, deux histoires de la même série, destinées à des jeunes lecteurs, mais pas du même âge pour les deux, car le degré d'abstraction et les formats sont différents. Il faut dire qu'en matière de formats, Ponti prend plaisir à nous surprendre : cela va du 10x12 au 30x40, et ça se lit en hauteur, en longueur, voire littéralement et dans tous les sens. Ponti s'amuse aussi avec les codes-barres, qui font toujours l'objet d'une petite mise en scène sur la quatrième de couverture.

Foulbazar et Tromboline sont un poussin et une poussine. Dans Le Bébé bonbon, ils trouvent un bonbon pourvu de pattes à qui ils ne laissent pas le temps de s'enfuir. Sauf que les pattes ont une vie bien à elles... Dans Le Nuage, le récit est plus symbolique : Tromboline et Foulbazar déclenchent à la volée des événements météorologiques qui seront pour les petits lecteurs un simple divertissement visuel, mais pour les plus grands le symbole d'une mésentente passagère.

J'espère vous présenter bientôt d'autres albums comme ceux-là.


Le Bébé bonbon, album souple 19x14 - 6 €
Le Nuage, album cartonné 12x8 - 6 €

La Fille au chapeau rouge

Akutagawa RYÛNOSUKE (1892-1927) est l'auteur présumé de "La Fille au chapeau rouge". Cette nouvelle érotique japonaise de quatre-vingt dix pages est publiée ici avec un autre texte court, "Le Secret de la petite chambre", attribué à Nagai KAFÛ (1879-1959). Or une jeune fille est forcément plus intéressante qu'un secret.

Beaucoup plus excitant que l'autre, ce texte de quelques dizaines de pages se lirait presque plus vite aussi. Non pas que l'érotisme y soit plus intense. Mais dans "Le Secret...", au final, les ébats paraissent universitaires.

Affaire de traduction — c'est un véritable leitmotiv sur ce BàL — ou de texte original ? La langue de "La Fille..." est plus actuelle et tellement plus vivante ! Picquier indique sur la quatrième de couverture que la nouvelle n'a quasiment pas de style. C'est dire où en est Picquier sur la question du style : il faudrait alors donner dans le précieux et l'ampoulé pour accrocher le Nobel ? Mouais !

J'ai déjà lu des récits érotiques français, et c'est le genre de littérature à vous balancer un stimulus par page, minimum syndical. Ici, le narrateur reste assez bavard sur le superflu, et c'est peut-être tout ce que je lui reproche.

L'HISTOIRE. Un Japonais se promène aux aguets, dans le Berlin de l'après Première Guerre. Il ne parle que quelques mots de français et l'anglais, aussi a-t-il du mal à se faire comprendre. Quelle frustration pour un écrivain ! Mais du même coup, son malaise à s'exprimer devient le thème principal du récit. Ajoutez quatre coïts en 90 pages, et vous y êtes. Ça m'a paru un peu court.

Mais tout bien considéré, le récit lui-même, rédigé au retour dans la langue japonaise par un écrivain qui peut de nouveau parler devient comme une réponse à sa frustration linguistique dans les rues et les commerces de Berlin. Revenir à sa langue maternelle, la langue de ses écrits, c'est pouvoir rendre hommage à cette jeune "fille au chapeau rouge". Et dans les pages les plus chaudes, le narrateur se donne apparemment un tel plaisir à raconter... qu'il n'y a finalement pas meilleur écho aux plaisirs de la chair, que celui des mots.


90 pages, coll. Picquier poche - 6 €
Après coup, cette nouvelle m'a rappelé la lecture de Kiro d'Alex Varenne, un manga d'assez peu d'intérêt, mais érotique à souhait !

05 août 2007

Poésie du Q

On en voit rarement le titre sur les listes de textes du Baccalauréat, mais Arthur RIMBAUD (1854-1891) a composé "L'Idole", sous-titré "sonnet du Trou du Cul", un sonnet parfait sur le plan de la forme, et très inspiré — on va le voir — pour le fond :


L'Idole
sonnet du Trou du Cul

Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encore d'amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu'au cœur de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
A travers de petits caillots de marne rousse
Pour s'aller perdre où la pente les appelait.

Mon Rêve s'aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C'est l'olive pâmée, et la flûte câline ;
C'est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !

— — —

Joli, non ? Le poème est tiré de l'Album zutique, et signé par trois auteurs que sont Albert MERAT (1840-1909), P. V. et A. R. Si vous identifiez comme moi les initiales des deux derniers, vous sourirez peut-être en relisant le poème à l'adjectif "féminin", un brin hypocrite.

Quoi qu'il en soit, il ne fallut pas moins de six mains de poètes pour composer un sonnet du Trou du Cul, et cela méritait d'être signalé.

Maintenant, j'ai une petite théorie personnelle à vous livrer. Chhhttt, n'ébruitez surtout pas l'affaire. Et si au terme de mon implacable démonstration, vous êtes convaincus par mon propos, surtout ne pensez pas qu'il en va de même pour votre voisin. Car en matière de fesses, le Q a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Voici donc. Je crois que Arthur Rimbaud a réécrit le "Sonnet du Trou du Cul" dans l'un de ses poèmes les plus connus, et les plus souvent récités par nos écoliers, à savoir "Le Buffet". Je vous raffraîchis illico la mémoire :


Le buffet

C'est un large buffet sculpté ; le chène sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,
De linges odorants et jaunes, de chiffons
De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,
De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;

— C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

— Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter des contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

— — —

Je ne sais pas si le rapprochement vous paraît justifié. S'il ne l'est pas, isolez le premier quatrain et le deuxième tercet, puis relisez "L'Idole". Il me semble que les "réseaux" lexicaux sont les mêmes, et qu'il s'agit bien de la même chose. Sauf que le premier poème décrit un anus, l'autre un meuble. Mais fi ! de ces détails, les deux sonnets filent la métaphore du contenu et du contenant, du contenu qui se déverse, du contenant que l'on ouvre parfois. En bref, la poésie du Q, c'est le symbole de la poésie elle-même.

Un autre poème de Rimbaud, que je découvre à l'instant, se trouve par ici. Merci à lui de son apport capital à cette Quinzaine : on peut dire qu'il met du Q à l'ouvrage, Thutur !

Le Secret de la petite chambre

Nagai KAFÛ (1879-1959) est l'auteur présumé du "Secret de la petite chambre". Ce conte érotique japonais de dix-neuf pages est publié ici avec un autre texte court, "La Fille au chapeau rouge", attribué à Akutagawa RYÛNOSUKE (1892-1927).

Conte ou nouvelle ?
Faites-vous une différence entre le conte et la nouvelle ? Moi, oui. Tous deux sont des textes courts. Par rapport au roman, ils ont moins de personnages, des portraits psychologiques superficiels et une intrigue simplifiée. Mais pour moi le conte c'est l'histoire que le narrateur dit avoir entendue, ou trouvée, ou rêvée il y a longtemps, et qu'il ne nous livre qu'après une introduction se référant au moment même où il la consigne dans ses cahiers. Alors que la nouvelle peut commencer directement dans le cœur de l'action, le conte, selon moi, prend d'abord un moment pour nous expliquer qui raconte et dans quelles circonstances. Ainsi beaucoup de textes courts du XIXè s., en Occident, sont des contes, et au XXè s. des nouvelles. Les Racontars de J. Riel sont des contes, tout comme les chapitres de Demain les chiens de C.D. Simak.

L'histoire de ce conte érotique
"Le Secret de la petite chambre" est donc bien un conte érotique. Le narrateur, un homme nommé Kinpu Sanjin, se dit notre "serviteur". Alors qu'il se promenait un jour dans un quartier d'une ville qu'il ne nomme pas, il envisage une ancienne "maison de rendez-vous" (titre d'un roman de A. Robbe-Grillet) qui est actuellement à vendre. Il l'achète aussitôt, sans beaucoup réfléchir, discuter le prix ni tarder ; appelez ça le cri du Q. Cela indique en tout cas sa classe sociale : n'est pas érotophile qui veut dans une société hyper hiérarchisée.

En retapissant une petite pièce, dont la surface est approximativement de « quatre tatamis et demi », il découvre sur le papier des cloisons coulissantes « des lignes griffonnées d'une écriture serrée », dont il dira deux pages plus loin « je restai confondu devant tant d'inconvenances ! ». Ben voyons.

Quatre tatamis et demi d'ambition
Vous aurez remarqué comme le récit principal est amené grâce à un artifice qui pose un cadre licencieux (un ancien bordel) et met le récit à distance (un passé pas précisément daté) pour faire mine de ne pas en être responsable. D'ailleurs Kinpu Sanjin a acheté la bâtisse pour son "petit jardin", et non parce qu'il lui rappelle l'époque où lui-même fréquentait assidûment les maisons du jouir, évidemment.

Sans rien vous révéler de l'histoire inscrite sur les "cloisons coulissantes", ni des détails intimes du "petit jardin", sachez qu'il s'agit des amours d'un jeune homme avec une geisha, et de la méthode à suivre pour faire lâcher prise à toute femme qui se respecte dès la première nuit d'ébats. Tout un programme. La méthode semble aussi infaillible que le jeune homme, la psychologie de la geisha aussi prédéterminée que la structure du conte.


19 pages, coll. Picquier poche - 6 €
Pour plus d'informations, vous pouvez lire www.shunkin.net

Quinzaine du Q

Alors que des littérateurs sans ambition organisent sous le manteau le week-end du câlin, le salon des caresses, la semaine de la fesse, j'ai décidé de me lancer (à corps perdu) dans une vaste, chaude et accueillante
"Quinzaine du Q" ! ! !

Eh oui : on a beau être en période estivale, le Q va faire son petit trou sur le BàL.

Alors quoi : roman d'aventure rime-t-il avec récit d'aventures ? Les Chinois nous le diront peut-être ! Casanova n'était-il qu'un obsédé ? Et Nabokov un pervers ? Allez savoir... Vivant Denon, Boyer d'Argens, le Marquis de Sade et Pierre Louÿs sont-ils érotiques ou carrément porno ? Il nous faut des réponses, étudions donc la question.

Ça c'est de la bonne Quinzaine avec un grand Q, messieurs dames, alors faites-vous plaisir : approchez, et participez nombreux du 5 au 19 août 2007,
à la "Quinzaine du Q" sur le Blog à Lire : toute la presse littéraire en parle !


Si le besoin s'en fait sentir, suivez le guide.
Vous en trouverez pour tous les goûts, de la fesse molle au Q dur :

Sages endiablées
Claire BRETECHER, La Vie passionnée de Thérèse d'Avila
Jacques CAZOTTE, Le Diable amoureux


Biographie du Q, mémoires et chroniQues
CATEL & BOCQUET, Kiki de Montparnasse
Groucho MARX, Mémoires d'un amant lamentable
Armistead MAUPIN, Chroniques de San Francisco


Affaires de Q
Kerry GREENWOOD, Cocaïne et tralala
Eugène LABICHE, L'Affaire de la rue Lourcine


Q caduque et Q débutant
Charles BUKOWSKI, Pulp
Pascal RABATE, Les Petits ruisseaux
Riad SATTOUF, Retour au collège


Au Q des ébats
Anonyme, Belle de Candeur
Nagai KAFÛ, Le Secret de la petite chambre
Pierre LOUŸS, Trois filles de leur mère
Albert MERAT, Paul VERLAINE et Arthur RIMBAUD, "Sonnet du Trou du Cul"
Akutagawa RYÛNOSUKE, La Fille au chapeau rouge


NOTA BENE : Cette très belle illustration est l'œuvre de Blandine : http://www.43art.com/

04 août 2007

Le Mal de Montano

Montano est un critique littéraire anxieux, père d'un écrivain trentenaire qui répond au nom de Montano. Ledit fiston est accessoirement libraire à Nantes, vers la fin du XXè siècle, et souffre d'un mal obscur et rampant, "le mal de Montano".

Ayant étudié les écrivains qui ont cessé d'écrire, Montano fils est en pleine panne d'écriture. Montano père, auteur de cinq ouvrages de critique littéraire, est obsédé par la littérature et par la mort. Un ami lui conseille alors de mettre un terme à ses phobies nombrilistes, et d'engager un combat don quichottesque contre la mort de la littérature. Ça tombe bien, parce que le journal intime qu'il a commencé de tenir est en train de se transformer en essai global sur la littérature, la vie, le passé, la nostalgie, la mort.

Et ainsi donc, la nuit d'insomnie suivante : « La littérature, me suis-je dit, est assaillie, comme elle ne l'a jamais été jusqu'à présent, par le mal de Montano, qui est une dangereuse maladie (...) écrire des romans est devenu le sport favori d'un nombre de gens frisant l'infini ; il est difficile pour un dilettante de construire des bâtiments ou de fabriquer au pied levé des bicyclettes sans avoir acquis une compétence spécifique ; pourtant tout le monde, absolument tout le monde, se sent capable d'écrire un roman sans avoir jamais appris ne serait-ce que les rudiments du métier, et il se trouve aussi que la vertigineuse augmentation du nombre d'écrivains a fini par porter grièvement préjudice aux lecteurs, plongés désormais dans une terrible confusion. »

Le Mal de Montano, prix Médicis étranger en 2003, roman érudit et sarcastique de l'Espagnol Enrique VILA-MATAS, est-il le récit paranoïaque d'un critique réactionnaire ?

Ça n'est pas aussi simple, car le narrateur sait se rendre à la fois antipathique et sympathique. Antipathique quand il déteste le monde entier, ne voit partout qu'une vaste conspiration pour lui nuire et détruire la littérature elle-même. Sympathique quand, pour étayer ses angoissantes obsessions, il brosse le portrait corrosif du paysage éditorial contemporain. Sympathique aussi quand, prédisant la mort de la littérature, il se propose non seulement de lutter contre cette mort annoncée, entreprise don quichottesque s'il en est, mais carrément d'incarner lui-même la littérature. De mourrir à sa place en quelque sorte. Sacrifice de soi ou sordide échange de cadavres.

Ce que fait ici Enrique Vala-Matas, c'est une sorte de livre total, forcément inachevé, car — nous explique-t-il citation à l'appui — les œuvres achevées ne sont que les masques mortuaires de leur intuition. C'est d'abord le journal de bord d'une escapade à Nantes, qui se transforme en nouvelle de sept pages contenant toute la littérature. Puis la nouvelle concise et parfaite devient roman bavard et imparfait. Puis c'est un "Dictionnaire du timide amour de la vie", recensement très personnel des écrivains qui se sont adonnés au genre du journal intime, de Gide à Kafka, de Musil à Pessoa, de Jules Renard à Monsieur Teste.

Puis c'est la "Théorie de Budapest", théorie déjà énoncée plus tôt par la mère du narrateur dans ses propres journaux intimes. La théorie donne lieu à une conférence débridée, dont l'achèvement m'a rappelé les dialogues absurdes de Woody Allen avec son public de fans dans Wild Man Blues, à l'issue de récitals de jazz New Orleans.

Puis c'est le "Journal d'un homme trompé", ou tous les hommes le sont. Ou la paranoïa poussée à l'extrème, mais accompagnée de la clairvoyance de Montaigne.

Le Mal de Montano est un livre extrèmement cultivé, un recueil de 1001 citations capitales, un roman sarcastique, le monologue désabusé d'un esprit sain quoi qu'imbu de lui-même. Ce livre a la qualité d'autres grands livres : c'est qu'il donne à réfléchir, à songer, à pazer horas, à perdre des heures à s'imaginer d'autres lectures et d'autres villes.

En terminant Le Mal de Montano, véritable découverte littéraire, je bouillonne d'envie d'écrire.


399 pages, coll. 10/18 - 8,50 €

03 août 2007

Beckett vaut pas des cacahuètes

Je suis dans les cartons, ces jours-ci, en vue d'un Grand Transbahutement !

... mon précieeeeeux...


Et bien sûr, chez un prof de français, déménagement bien ordonné commence par... ... les livres ! !



L'occasion de se rendre compte qu'un carton Beckett, ça pèse deux fois moins lourd qu'un carton de cachuètes... :/



J'en viens à me demander si je ne me suis pas trompé de sujet de mémoire en maîtrise...