01 septembre 2007

"Le Kabbaliste d'East Broadway"

Je continue de lire les nouvelles du recueil La Couronne de plumes, signées Isaac Bashevis SINGER (1904-1991). Comme je vous l'ai dit dans mon précédent billet, "Le Fils qui venait d'Amérique" est très emblématique de ce recueil, car il réunit la Pologne des jeunes années de l'auteur, et l'Amérique où il s'est exilé en 1935.

Je vais tenter de résumer l'intrigue de quatre nouvelles en quelques lignes...

"Le Fils qui venait d'Amérique" : le narrateur pose l'ambiance d'une petite maison modeste de la campagne polonaise, où vivent deux petits vieux, Berl et Berlsha. Un inconnu arrive qui tape à leur porte. Grande silhouette, l'air riche. C'est Samuel, le fils exilé en Amérique, qui prend sa petite mère dans ses bras opulents :

« Mère, vous n'avez donc pas reçu mon câble ?
— Quoi ? Puisque j'ai assez vécu pour voir ce jour, il me sera égal de mourir », dit Berlsha, étonnée de ses propres paroles.
Berl aussi était étonné. C'était précisément la phrase qu'il aurait voulu dire s'il s'en était souvenu un instant plus tôt. Au bout d'un moment, il se reprit et dit :
« Pescha, il faudra faire un double dessert du shabbat en plus du ragoût. »
Cela faisait des années que Berl n'avait pas appelé Berlsha par son prénom. Quand il voulait lui dire quelque chose, il se contentait de « écoute », ou « dis donc ». C'était bon pour les jeunes ou ceux des villes d'appeler leur femme par son nom.


Samuel est boulanger en Amérique ; il envoie de l'argent à ses parents depuis plusieurs années. Ceux-ci n'ont rien dépensé : il n'y a rien à dépenser. « Il était venu avec des plans grandioses. Il avait une valise remplie de présents pour ses parents, pour tout le village. Il les avait achetés avec son propre argent et aussi avec les fonds de l'Association Lentshin de New York qui avait organisé un bal au profit du village. Mais ce village perdu n'avait besoin de rien. »


"La Serviette" est une histoire très auto-dérisoire dont le narrateur-anti-héros m'a fortement rappelé le Montano d'Enrique Vala-Matas. Khon est un écrivain quinquagénaire très demandé pour des conférences ; il est toujours à courir après le temps :

« On dit que courir sans arrêt est une maladie typiquement américaine. Eh bien ! moi qui suis né à l'étranger, j'en suis atteint. »

Intelligent et raisonnable, Khon est désespérément maladroit dans ses amours.

Un jour il se souvient au dernier moment qu'il doit assurer une conférence à M..., dans le Middle West. Il prend le train en toute hâte. Il égare sa serviette. Il débarque à M... sans argent et, confondant le nom de l'hôtel qu'on lui a réservé, se retrouve le soir même à dormir sur un matelas moisi, à compter les sous qui lui restent pour appeler à l'aide.

Cette nouvelle de 48 pages est l'une des plus longues du recueil, et Singer prend le temps de développer son portrait autofictif. D'autres portraits ne sont pas moins savoureux :

« Leah Hinda souffrait d'hypertension et d'une bonne demi-douzaine d'autres maladies, pourtant elle arrivait à se maintenir en vie. Elle prenait chaque jour d'innombrables comprimés et suivait un régime draconien, le plus strict que j'aie jamais vu. Ayant survécu au ghetto et aux camps de concentration, elle était décidée coûte que coûte à vivre jusqu'à quatre-vingt-dix ans. »


"Le Kabbaliste d'East Broadway" raconte la vie ennuyeuse et fascinante, passionnée et vide de sens de Joel Yabloner, kabbaliste de son état, amoureux à l'occasion.


"Une citation de Klopstock" commence par ces mots pleins de promesses narratives :

« Ceux qui courent les femmes ne peuvent s'empêcher de s'en vanter. Dans les milieux littéraires de Varsovie, Max Persky était connu comme un séducteur notoire. Ses admirateurs prétendaient que s'il n'avait pas consacré une si grande partie de son temps aux femmes, il aurait pu devenir un second Sholem Aleichem ou un Maupassant yiddish. »

Tout se corse lorsque Max Persky, par défi, séduit Theresa Stein, une universitaire que toute la ville respecte, et qui jouit d'une réputation irréprochable ; intellectuelle et (jusque là) vieille fille, Theresa meurt dans le lit d'un Dom Juan...


"Le Fils qui venait d'Amérique", 16 pages
"La Serviette", 48 pages
"Le Kabbaliste d'East Broadway", 16 pages
"Une citation de Klopstock", 24 pages
in La Couronne de plumes, 452 pages, coll. La Cosmopolite Stock - 11 €

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