30 mars 2008

Les Mandarins II

Le deuxième tome des Mandarins est d'une lecture beaucoup plus agréable que le premier, à mon avis. En effet, Paule part dès les premières pages faire le voyage prévu aux Etats-Unis... et y rencontre Lewis lorsqu'elle échoue à Chicago.

Or Lewis est à Paule ce que Nelson Algren est à Simone DE BEAUVOIR, ou peu s'en faut.

L'alternance continue donc, comme dans le premier tome, entre des chapitres à la troisième personne qui focalisent l'attention sur Henri et Dubreuilh, nos deux intellectuels engagés, et des chapitres à la première personne qui sont le récit de plus en plus intime de Paule. Au départ, sur ce(ux) qui l'entoure ; petit à petit, sur ce(lui) qui l'anime.

Un chapitre sur deux m'a dès lors paru passionnant. Il me rappelait non seulement l'amour transatlantique de Beauvoir et Algren, mais aussi la lecture de L'Amérique au jour le jour 1947, forcément. Une même expérience pour combien de livres différents, combien de façons de raconter, pour combien de facettes à ce prisme existentialiste, qui sert à dire ce bout de vie d'une femme de quarante ans, qui a cru renaître ?

Années 1920 : Beauvoir rencontre Sartre, elle renaît intellectuellement et commence son "solde de tout compte" familial. 1947 : Beauvoir à presque quarante ans est une jeune amoureuse et redécouvre qu'elle a un corps. C'est vers la même époque, après la rencontre avec Algren, qu'elle commence à écrire Le Deuxième sexe.

Pour en revenir aux Mandarins, ce deuxième tome raconte l'évolution et les aboutissements à moyen terme des désillusions de nos personnages principaux, qui ressemblent énormément à Sartre, Beauvoir et consorts sans être jamais vraiment si proches que cela des originaux. Alors que la revue politique de Dubreuilh se casse la gueule, Henri revoit ses idéaux à la lumière de ses coucheries avec une jeune midinette qui, il n'y a pas si longtemps, divertissait les Allemands. Il en vient même, par conflit d'intérêts, à faire un faux témoignage pour sauver un ancien collabo. Nadine, la fille de Robert Dubreuilh et de Paule, peu à peu s'apaise, et retourne vers Henri. Dans une Europe en paix mais qui semble préparer la prochaine guerre, ils prévoient de s'échapper en Italie, surtout pour échapper à la politique.

Certains passages, ceux qui analysent les cas de conscience de Dubreuilh et Henri (entre autres), sont parfois franchement indigestes, d'autant que l'eau a coulé sous les ponts, que la Guerre froide a eu lieu et que l'Occupation nazie a été digérée. Mais comme je le disais plus haut, toutes les pages qui racontent l'amour de Paule et Lewis sont encore brûlantes. La franchise et le ton direct de Beauvoir y sont surprenants pour une époque encore tellement soumise aux tabous et à l'idée du pêché.

Psychanalyste et intellectuelle, Paule est une femme moderne plus que toute autre : c'est par son corps qu'elle goûte à sa liberté. En faisant l'amour du soir au matin avec l'homme qu'elle aime, Paule renvoie les débats politiques les plus sérieux de son époque à de vaines masturbations.

Moralité : rien de sert de palabrer, il faut jouir à point. Il fallait mille et deux pages pour en arriver à cette conclusion qui en ravira plus d'un(e).


501 pages, coll. Folio - 7,40 €

26 mars 2008

J'ai quinze ans et je ne veux pas mourir

J'ai lu ce roman dans ma tendre adolescence, et il m'a durablement marqué. J'ai quinze ans et je ne veux pas mourir, suivi de Il n'est pas si facile de vivre, forcément, ce sont des titres qui accrochent lorsqu'on a quinze ans. C'était Pénélope, 4èmeC, qui l'avait lu avant moi. Plus tard, elle a lu l'incroyable Tante Julia et le scribouillard de Julio Vargas Llosa, et après je l'ai lu, sous la canadienne à Tréboul plage. Pénélope connaissait aussi toute l'œuvre de Janine Boissard, mais là je n'ai pas suivi...

Hum... Revenons-en à J'ai quinze ans... : vous connaissez ? Vous avez lu ? C'est probable... Quoi qu'il en soit, une lectrice du BàL nous raffraîchit la mémoire :

Ce très court roman d’une centaine de pages est le récit du siège de Budapest, tenu par les Allemands contre les Russes, vécu de l’intérieur d’une cave d’immeuble, sombre, humide et peuplée de tous les locataires. La narratrice a 15 ans et passe le temps en lisant ce qu’elle a pu emporter : Balzac et Dickens surtout. Entre les grandes mesquineries des uns et les petits exploits glorieux des autres, l’adolescente raconte sans emphase ni apitoiement les morts violentes, l’omniprésence des cadavres, la lutte pour trouver à manger et à boire, les lectures et l’écriture de son journal à la lueur d’une misérable bougie de saindoux, l’arrivée des Russes qui n’apporte pas la paix attendue…

Ce récit autobiographique de Christine ARNOTHY très prenant, très émouvant et plein de justesse, est écrit avec la rage d’une jeune fille à qui la guerre vole son adolescence.

Il n’est pas si facile de vivre raconte la suite : la fuite clandestine, l’arrivée à Vienne, divisée en quatre par les vainqueurs, le statut de réfugiés clandestins. Puis, l’aventure en solo de Christine qui passe en France. Affaiblie par plusieurs mois de privations, elle doit s’adapter à un pays nouveau mais rêvé et idéalisé, loin d’être si accueillant que le prétend sa réputation. Les familles bourgeoises qui emploient la jeune femme de vingt ans comme nurse sont incapables d’imaginer ce qu’elle a subi, et se montrent souvent hautaines. Malgré cela, un désir tenace maintient Christine dans la volonté d’exister : écrire son premier roman, « avoir des enfants et des lecteurs ».

Ce roman semble plus posé que le précédent, plus amer aussi. Mais il permet de mieux se rendre compte de ce que subissent les immigrés, qu’ils soient réfugiés ou non.


286 pages, coll. Livre de Poche - 4,75 €

11 mars 2008

Marguerite et Minon

Le volume s'est un peu fait attendre, mais ai-je le droit de faire l'impatient alors qu'on me l'a offert ? Voici en effet le deuxième livre de cette deuxième opération "Masse Critique" : Marguerite et Minon, un album jeunesse destiné aux plus jeunes.

La première impression est colorée, le volume est agréable dans les mains des parents, et les pages sont solides pour celles des enfants... La mise en page est aérée et généreuse, les dessins et le textes s'inscrivent sur un fond blanc quasi indifférencié : peu d'objets ou de meubles entrent dans le décor qui est représenté, et c'est plutôt à l'enfant de reconstruire par l'imagination... ce qui ne figure pas sur la page, ce qui n'est que suggéré par l'histoire.

Les dessins utilisent deux techniques plutôt étrangères l'une à l'autre : l'encre noire (fuseau ?) et le "gribouillis" (crayons de cire ?). Cela donne un style éclectique agréable pour l'œil, et permet à l'auteur de poser des ambiances contrastées : inquiétante, gaie, légère, triste.

Sur le plan du dessin, c'est un sans faute, et à la relecture - immédiate ! - du volume, ça fonctionne encore mieux.

Hélas, cent fois hélas, il y a un hic : l'histoire. Certes le texte est plutôt simple, aisément mémorisable. Des mots sont mis en avant, de sorte que la lecture faite par un "grand" peut facilement trouver des repères pour poser des intonations qui feront réagir le "vrai" lecteur : celui qui ne lit pas mais qui écoute dans un silence religieux... Mais dans le texte déjà apparaît la faiblesse de Marguerite et Minon : l'histoire n'est composée que d'une succession de "Quand Marguerite fait ceci, alors Minon fait cela", avec une petite fille dans le rôle de Marguerite, et un chat pantouflard dans celui de Minon. Au départ, ça peut sembler mignon... mais on attend désespérément un événement, un peu d'inattendu... voire, plus grave : un thème ?

C'est peut-être ringard de voir la littérature jeunesse à travers cette vieille école du thème abordé, mais dans le cas de ce volume, il m'apparaît que le thème fait vraiment défaut : on referme le volume, après deux lectures successives, sans avoir la moindre envie d'y revenir. Malgré le dessin très sympa, malgré un style plutôt affirmé, malgré la relative simplicité du ton.

Et ça donne le sentiment que ce petit volume n'est qu'esthétique. Un caprice d'auteur qui oublie complètement celui ou celle à qui il s'adresse. Dommage.


20 pages, éd. Art et poésie - 9,50 €
livres, critiques citations et bibliothèques en ligne sur Babelio.com

06 mars 2008

(BD) Ma vie est tout à fait fascinante

Après avoir hébergé sur cette page pendant plusieurs semaines une jolie publicité pour cette B.D., avouez qu'il était temps que je la lise !

Alors voilà : Ma vie est tout à fait fascinante, c'est la version papier de Ma vie est tout à fait fascinante. Jusque là, vous suivez ?

Non, parce que Ma vie est tout à fait fascinante, c'est un des meilleurs blogs BD que je connaisse (d'aucuns diront que je n'en connais pas assez... faciiiile... ). Il est l'œuvre désopilante et néanmoins quotidienne de Pénélope BAGIEU, alias Pénélope Jolicœur. Ceux qui me lisent savent à quel point je me moque de la bio des auteurs, alors ne me demandez pas si ladite Pénélope travaille dans la pub à Paris, si elle a dans les 25 ans, si elle a un copain, si elle s'est acheté un nouvel iMac l'hiver dernier, si elle aime les macarons, si elle veut qu'on l'appelle Mademoiselle et pas Madame, si elle apprécie qu'on l'arrête dans la rue pour lui dire qu'elle est ravissante : je n'en sais rien.

Vous trouverez dans ces 94 pages certains des meilleurs dessins de ces derniers mois tirés du blog. Je suppose que d'autres sont inédits, mais n'ayant pas la prétention d'avoir recensé chaque dessin, chaque élucubration ni chaque nouvelle paire de chaussures de Pénélope Joliœur (ou de son personnage autofictif), je ne peux rien garantir là non plus.

Toujours est-il que contrairement à la lecture de ce billet, aussi barbante que son écriture, celle de Ma vie est tout à fait fascinante... est tout à fait fascinante. Au moins autant que le suggère la couverture. On pourrait croire que Pénélope n'écrit que pour les filles, mais c'est même pas vrai : moi qui suis un gars (si, si : je vous jure), j'A-DO-RE Pénélope et ses aventures décalées, déshabillées, décuitées, décaféinées... voyez, quoi.

Donc je confirme, je persiste, je signe, je crache, je jure et si je mens je vais en enfer : achetez(-vous) Ma vie est tout à fait fascinante : c'est trop de la balle !

Le trait semble simple ? Oui il semble. Les mises en scène semblent dépouillées ? Certainement, elles le semblent : elles sont quotidiennes.

Mais en réalité, je trouve que la mise en page, bien qu'étant un exercice quotidien et donc forcément répétitif sur un blog, est très variée et très inventive dans ce tome. Les couleurs sont chatoyantes. On n'arrête pas de se reconnaître dans les situations toute bêtes qui sont dépeintes. Il y a un art du dérisoire qui peut rappeler Sempé. Il y a un art des situations récurrentes (la banquière, le bureau, le vélib... ) hérité des grands maîtres du strip quotidien : Schulz, Quino ou du dessin de presse : Plantu...

Car finalement, le blog BD est bien cette version moderne du dessin de presse, à l'heure où la presse est en grande difficulté pour survivre. Les auteurs comme Pénélope Jolicœur, en s'auto-éditant, gagnent une liberté de ton... et héritent bien entendu de contraintes fortes, comme celle de publier un dessin par jour, de ne pas commettre de faux pas, de garder du temps pour une activité qui permet de continuer à manger...

Pénélope mène tout cela avec brio, même si, lorsqu'elle nous emmène avec elle dans les coulisses de son succès (d'estime), on en a des frissons pour elle, comme pour tous ceux qui s'acharnent à vivre de leur art, et qui le méritent tellement : Boulet, Miss Gally et tant d'autres.


94 pages, éd. Jean-Claude Gawsewitch - 15 €