06 septembre 2009

Nouvelles mexicaines

Hatier Poche publie une anthologie de nouvelles de TRAVEN, écrivain mystérieux dont les biographies sont sujettes à caution. Ces nouvelles sont tirées d'une vie quotidienne auprès du peuple mexicain, dans les petits villages comme à Mexico.

Dans ces nouvelles, le décor est réaliste quoique assez dépouillé. Les "Indiens" sont des gens simples, parfois durs, remplis de bon sens. Le personnage du "gringo" blanc prend du relief par son inadaptation à la vie et aux mœurs mexicaines. Certaines histoires sont racontées à la troisième personne, d'autres à la première du singulier. Les thèmes abordés sont variés. Il s'agit d'abord de décrire la vie quotidienne du peuple mexicain : le logement, la nourriture, le commerce et puis les liens étranges entre l'homme et l'animal. Ensuite, Traven explore aussi des aspects plus inattendus : le matriarcat, la religion, l'industrialisation, les relations avec le pouvoir local, la répression.

Dans l'ensemble, le regard de Traven sur la société mexicaine est mêlée de respect et de distance. Traven use de son sens critique mais ne condamne jamais les Mexicains. Il ne met que le pouvoir central et les "gringos" en accusation. Comme par exemple M. Winthrop, de New York : ce philanthrope prétend sortir les Mexicains de leur misère en spéculant sur la valeur artistique de leur objets artisanaux. Il joue au plus candide tout en faisant tous les calculs nécessaires à assurer sa fortune personnelle ; sauf que le Mexicain qu'il essaie d'exploiter, lui, est vraiment un homme simple. Aussi, lorsqu'il lui fait miroiter des pesos par milliers, le regard de l'artisan se perd... il ne sait pas ce que signifient ces gros chiffres. Winthrop et son entreprise humaniste peuvent s'en retourner. D'autres nouvelles sont presque des allégories, comme "Achat d'un âne" et "Le chagrin de Saint-Antoine" par exemple.

Je ne suis pas certain que Traven soit bien traduit, ou alors sa langue doit être plutôt pauvre, sa syntaxe assez plate. Le récit n'est rythmé que par l'action, pas par le style. Pour autant, ces quelques nouvelles se lisent goulûment. Elles sont ici présentées accompagnées d'un dossier pédagogique plutôt bien fait, destiné aux collégiens et à leurs professeurs.


80 pages + 50 pages de dossier, coll. Hatier Poche Collège - 4 €
Bibliographie : Golo est l'auteur d'une bio-BD intitulée Traven, Portrait d'un anonyme célèbre publié chez Futuropolis en 2007

02 septembre 2009

(BD) L'Art invisible

En 1992, alors que Art Spiegelman s'apprête à défrayer la chronique BD avec Maus et à obtenir un Prix Pulitzer, Scott McCLOUD entreprend d'établir une présentation générique de la BD depuis ses prémices jusque son avènement en tant que "Neuvième Art".

Scott McCloud est alors aussi jeune qu'ambitieux : il n'a que 32 ans et s'apprête à établir, en BD... une théorie de la BD. C'est le sujet de L'Art invisible. Scott McCloud y donne bien évidemment des références historiques qui permettent dans un premier temps de mieux comprendre l'apparition de la BD. Il nous rappelle que la tradition a longtemps été de séparer rigoureusement les images et les mots. Il rebondit sur les préjugés dont souffre encore parfois la BD aujourd'hui. Il mène son discours avec talent, humour et même une certaine dose de dérision.

Le volume est loin d'être indigeste, même si certains passages relatent des théories assez abstraites. Le propos est réfléchi, et la forme ne l'est pas moins. L'auteur réussit très souvent à nous convaincre par l'image de ce qu'il nous a démontré à l'avance par les mots. Souvent on acquiesce, on reconnaît les faits tels qu'il nous les expose, on convient qu'il a bien raison, on s'étonne même parfois de n'avoir jamais envisagé la BD sous tel ou tel angle.

L'Art invisible est constitué de neuf chapitres inégaux. Les trois premiers m'ont paru les plus ardus mais aussi les mieux faits. Dans les chapitres 4 à 8 les points abordés me paraissent plus contestables et le rythme s'emballe un peu. A cet égard le neuvième et dernier chapitre passe un peu du coq à l'âne, du rappel des arguments développés à des bribes de théorie à peine formulables. On voit tout l'enthousiasme de Scott McCloud mais on voudrait qu'il ait moins de remords à conclure.

Après le livre d'Eisner La Bande dessinée, art séquentiel, cet opus de Scott McCloud devient l'ouvrage de référence de la BD. Si vous vous intéressez à la BD non seulement comme genre littéraire mais bien comme art à part entière, vous trouverez ici sous une apparence accessible et ludique les idées, les théories, les références historiques qu'il vous manque.

Un essentiel.


223 pages, éd. Delcourt - 14,95€
http://fr.wikipedia.org/wiki/L'Art_invisible
http://scottmccloud.com/

02 juillet 2009

Notes #2

Rah, que c'est bon !

Ça fait un moment que je suis le blog de BOULET grâce au flux RSS, petit gadget bloguistique dont je suis adepte. J'en fais de même d'ailleurs avec de nombreux blogs BD, photo, bouquins dont certains sont parmi les liens à droite de votre écran. ->
:)

Ce qui me plaît énormément chez Boulet, c'est la très grande variété de son talent : variété du dessin tantôt inspiré par les mangas, tantôt par les graphic novels, tantôt par la BD belge... la plupart du temps un peu tout ça en même temps, je crois. Variété également des registres, des ambiances : posée, philosophique à certains moments, joyeuse ou simplement énervée à d'autres.

Boulet fait preuve non seulement d'une très forte maîtrise technique, mais aussi d'une capacité à savoir doser ses ingrédients. En bref et pour lâcher les gros mots, Boulet a des allures d'artiste accompli. Il faut donc profiter de son talent sans attendre. Bizarrement, les notes du blog depuis quelques temps ne me faisaient plus autant d'effet, peut-être parce que je suis un peu blasé, peut-être parce que certains (s)trips de Boulet ne sont pas ma tasse de thé.

C'est là que la publication en volumes papier prend tout son intérêt ! Même après avoir déjà lu tous les billets de son blog, ces "notes" écrites sur la partition entonnent une musique nouvelle. Car Boulet s'est ingénié à coudre toutes ses disparités à l'aide d'un fil conducteur qui lui permet de réintroduire ses archives : c'est l'histoire de son séjour malheureux dans la Creuse pour un festival BD. Grâce à cela, la lecture devient une redécouverte et reste toujours appétissante : 222 pages qui se dévorent goulûment.


222 pages, coll. Shampooing - 16,90 €
Le Blog de Boulet est par ici : www.bouletcorp.com

13 juin 2009

L'Orgasme on s'en fout

Ce résumé n'est pas disponible. Veuillez cliquer ici pour afficher l'article.

23 mai 2009

Seul dans le noir

Je viens tout juste de finir la lecture du dernier roman de Paul AUSTER paru en français : Seul dans le noir. Un aller/retour en voiture, quatre heures de route et hop ! Avalé.

Avalé bien vite, pas dévoré non plus. L'histoire principale est celle d'August, 72 ans, écrivain sans ambition et sans gloire. Il a recueilli chez lui chez lui sa fille Miriam, 47 ans et sa petite-fille Katya, 23 ans. Tous trois sont des blessés de la vie, mais ce monde étrange continue de tourner.

August, c'est lui qui est seul dans le noir. Pendant que Miriam et Katya dorment à l'étage, lui reste assis avec sa jambe en vrac, il a pour compagne l'obscurité du dedans, ses hantises, son désir aussi que Katya se sorte du pétrin. Il se prend pour Dieu et doit savoir que l'un des deux fut sauvé, probablement.

Les premières lignes et les premières pages sont écrites dans un style très épuré. Le texte avec sa ponctuation est mélodique, presque incantatoire. J'avais entendu Paul Auster faire la lecture de ces premières pages à la radio et je dois avouer que cela m'avait hypnotisé. J'avais filé aussitôt acheté le bouquin.

Cette tension stylistique va de pair avec la construction rigoureuse de l'action principale, celle qui nous raconte l'histoire d'August, de Miriam et de Katya. De Sonia, de Titus, de Virginia Blaine pourquoi pas... mais la tension se relâche, trop vite à mon goût, et nous voilà entraînés dans un monde parallèle où les Etats-Unis d'Amérique se livrent une guerre civile. Un monde qui n'existe que parce que Giordano Bruno a déclaré qu'il pouvait exister. Un monde qui n'existe que dans la tête d'August Brill.

Chaque personnage est attachant, y compris les personnages inventés par August Brill : Brick, Flora, et la fameuse Virginia Blaine. Et puis Paul Auster en fait de belles personnes, avec tous leurs défauts et leurs blessures et leurs espoirs déçus. De fait, Paul Auster mêle ici tous les ingrédients qu'on aime retrouver dans ses romans : la confrontation des générations, l'idée d'un homme qui arrivant à la fin de sa vie dresse une sorte de bilan, l'expérience du deuil raconté avec une sorte de bienveillance au regard de la vie, l'idée que la réalité est illusion, ou bien qu'il y a plusieurs réalités coexistant ensemble, et que certaines personnes ont l'étrange pouvoir de glisser de l'une à l'autre. Et puis Brick est magicien, le petit nom d'August est Augie... on se sent en terrain connu, même quand on n'a pas tout lu de l'auteur.

Il n'empêche : voilà Paul Auster obnubilé par le 11 septembre 2001 et la guerre en Irak, par les prises d'otages et les décapitations retransmises sur Internet... Je ne suis pas sûr que ces sujets soient ceux qu'il maîtrise le mieux et, s'ils peuvent donner lieu à une œuvre littéraire, je suis à peu près sûr qu'il ne faut pas se contenter d'adopter à leur égard le simple point de vue du spectateur, ni susciter du même coup la compassion du lecteur pour les victimes. Si Paul Auster se rendait à Bagdad ou à Kaboul pour renverser le point de vue et nous raconter avec le même talent de romancier la vie de trois générations irakiennes ou afghanes bouleversées par les exactions de l'armée américaine, cela m'intéresserait beaucoup. Pour le moment, il garde les deux pieds sur le sol américain et sa critique de l'administration Bush reste convenue et superficielle. Je connais assez peu Paul Auster et son œuvre, mais j'ai l'impression qu'il se sent obligé de témoigner de ces conflits de civilisation, et pour ma part je trouve dommage qu'il ne veuille pas rester à l'échelle individuelle, où il excelle.


182 pages, éd. Actes Sud - 19,50 €

10 mai 2009

La Colline des Anges

Raymond DEPARDON et Jean-Claude GUILLEBAUD sont de vieux amis, qui ont quitté le Vietnam ensemble en 1972. Guillebaud manie le texte, Depardon l'image. 20 ans plus tard, en 1992, aucun magazine ne les a invités à y retourner. C'est pourtant ce qu'ils ont fait.

Pour l'amateur du beau texte et des belles images, La Colline des Anges ressemble au livre parfait : Guillebaud use d'une langue riche pour poser des ambiances, transcrire des bruits et des parfums, faire resurgir des souvenirs. Aussi le texte ne se résume-t-il ni à un Je me souviens, ni à une réécriture d'A la recherche du temps perdu : il témoigne d'une expérience présente avant tout. L'image comme le texte appartient à ce que l'on pourrait appeler du "reportage humaniste", à ceci près qu'il ne s'agit pas simplement d'objectiver le Vietnam, mais de s'objectiver ayant vécu au Vietnam, revenant au Vietnam, constatant que d'anciens G.I. y reviennent aussi pour reprendre leurs vieilles habitudes de nababs, observant que les vietnamiennes sont toujours prises pour des prostituées congénitales, les vietnamiens pour des gagne-petit du commerce.

La découverte d'Hanoi, ancien berceau du Communisme vietnamien, est un choc pour Guillebaud, Depardon et leur interprète férue de culture occidentale. C'est la ville où tout le Vietnam arrive à son paroxysme : les rues sont pleines, animées, les gamins jouent et chahutent, les jeunes femmes sont belles et circulent à vélo, les maisons se refont une beauté, les passants sourient, sont chaleureux, accueillants. Le texte de Guillebaud, meilleur dans la critique que dans l'éloge, le dit moins bien que les photos de Depardon : Hanoi en 1992, c'est le Vietnam en devenir. La ville qui a su rester Vietnamienne sans occulter pour autant l'avancement du reste du monde et de ses valeurs. Un compromis, équilibre difficile après seulement 20 ans.

Ce tome contient probablement les plus belles photos de Depardon que j'aie jamais vues. Et pourtant je commence à connaître mon sujet...


271 pages, coll. Points - 9 €

05 avril 2009

(BD) Trésor

Trésor, ça commence comme Les Demoiselles de Rochefort et ça se termine comme une histoire de l'Oncle Picsou. Cette BD de Lucie DURBIANO, en sélection officielle à Angoulême 2009, est publiée dans la collection Bayou.

Les couleurs sont franches et plates, le trait me rappelle Seth, l'auteur de La Vie est belle, malgré tout. Le tout est léger comme une aventure des 4 as adaptée pour les adultes, et l'épilogue est bienvenu pour ne pas terminer la lecture sur une note trop futile.

Le pire est que je me suis laissé prendre sans broncher dans l'histoire de cette recherche de trésor : il y a des statuettes à rassembler, l'héroïne est amoureuse de deux hommes, le deuxième homme est amoureux de deux femmes, le papa archéologue n'est pas bien loin... non, ce n'est pas un remake de L'Homme de Rio avec Jean-Paul Belmondo et Françoise Dorléac. Dommage car alors ça serait mieux rythmé et plus dépaysant. C'est tout simplement une sorte de suite de Orage et Désespoir, autre BD de la même auteure.

Je regrette le côté très vieille France de cette chasse au trésor. Les personnages sont des caricatures, du physique jusqu'aux sentiments : il y a la blonde fatale, le comptable à lunettes encore vierge, la midinette en mini-jupette, le bellâtre aventurier...

Pour résumer, j'imagine que vous vous laisserez prendre comme moi à la lecture de ce téléfilm facile à lire. Mais une fois la dernière page tournée, vraiment, il ne m'en est pas resté grand chose... Si le volume ne m'avait pas été offert, j'aurais regretté mon achat.


106 pages, coll. Bayou - 16 €

22 mars 2009

Trois livres de Raymond Depardon

Raymond DEPARDON voit ses livres publiés dans la collection Points Seuil, en format poche. Ce sont de beaux livres bien édités et accessibles, alors il faut en profiter...

C'est ce que je tente de faire et à vrai dire je crois que j'ai acheté tous les titres disponibles. J'en ai lu/vu la plupart depuis plusieurs semaines. Laissez-moi vous parler de ces trois là : Le Tour du monde en 14 jours, La Solitude heureuse du voyageur et Errance.

Le principe moteur du premier, Le Tour du monde en 14 jours (sous-titré "7 escales, 1 visa") est bien simple. Depardon décide de faire un tour de la planète en allant si possible dans des endroits, des villes qu'il ne connaît pas déjà. C'est le cas par exemple de Washington, Singapour, Honolulu, Le Cap. Le fil conducteur, c'est le voyage sans but précis. Chaque escale est vaguement présentée et chaque photo succinctement légendée. Les images me semblent de qualité très inégale, proportionnellement à l'intérêt que porte Depardon aux endroits qu'il traverse en coup de vent. Le volume se termine sur un constat un peu stupide : la terre est bien ronde... :/

Notes, ce sont deux interviews de Depardon à vingt ans d'écart. La première est extrêmement mal écrite : en 1978 Depardon est déjà au sommet de son art photographique mais il n'a pas encore affiné son écriture. Les "il y a" scandent maladroitement le texte, dans un ton faussement rugueux du type "dans la vie, il y a", ou plutôt "dans la photo, il y a... ". Le résultat est assez navrant d'inexpressivité et d'imprécision. Dans la seconde interview, celle de 1998, c'est malheureusement l'intervieweur qui gâche tout en entreprenant une psychanalyse de comptoir des photos de Depardon. Tout aussi navrant.
Heureusement il y a les photos qui suivent, intitulées La Solitude heureuse du voyageur, reléguées tout à la fin du volume, d'un bloc, après le discours. Comme quelque chose qu'il faut mériter. Et en l'occurrence ces photos sont parmi les meilleures de Depardon, pour autant que je les connais. Le problème (car il faut toujours qu'il y en ait un) est que ça fait compilation : rassembler les meilleures photos de Depardon pour épater la galerie, c'est un peu facile. Pas facile d'avoir saisi toutes ces magnifiques photos au fil des ans, non. Mais trop facile de balancer tout ça d'un coup. Chaque photo est présentée par un lieu et une date, contredisant parfaitement les 45 pages précédentes dans lesquelles Depardon faisait le deuil du photojournalisme. Bref.
Heureusement donc, il y a les photos. Et en particulier celles de Notes, première partie de l'ouvrage. Depardon fuit la fin d'un amour à Paris et se précipite cœur et âme dans les conflits armés les plus violents de l'époque : de Beyrouth au Pakistan, de Kaboul à Peshawar. Il veut engager sa vie, il veut la risquer et montrer la distance qu'il prend. Son guide francophone est un jeune soldat instruit : il s'appelle Massoud. Photos saisissantes depuis le corps de l'action, chronique quotidienne des tracas d'un petit Français perdu dans une Histoire qui le dépasse.

Le troisième et dernier volume est le chef d'œuvre parmi les trois. Il s'intitule Errance et correspond au travail le plus récent de Raymond Depardon. Enfin la démarche est claire et uniforme, enfin la langue est à hauteur de l'image. Depardon fait à nouveau le tour du globe en quête d'endroits déshabités. Pour une fois la présence humaine n'est pas recherchée. Pour une fois l'horizon est centré et les paysages sont saisis à la verticale, en format 6x9 avec un vieux film qu'on ne trouve plus : la Kodak Verichrome Pan. Depardon essaie d'échapper à la traditionnelle quête du "moment" photographique et se concentre sur les ambiances qui se dégagent de certains endroits (carrefours, routes au milieu du désert, villages poussiéreux... ) lorsqu'il ne s'y passe rien. Et puis il réfléchit à l'errance en tant que concept photographique, sociétal, esthétique.
C'est bien plus qu'un ouvrage abouti : c'est un chef d'œuvre dans son domaine.


coll. Point Seuil - 8 € par volume
Un autre avis sur Errance : par ICI !

10 mars 2009

(BD) Dimitri Bogrov

Il est grand temps que je vous parle de Dimitri Bogrov. Et de Sonia, aussi.

Mon premier est un album dessiné par Benjamin BACHELIER et écrit par Marion FESTRAËTS. Ça vient de paraître en ce début d'année 2009 chez Gallimard, dans la collection "Bayou". Ce sont, nous dit-on, les mystères et les non-dits de son histoire familiale qui ont inspiré à Marion cette histoire. Etonnant, car les pages semblent habitées d'une culture livresque fouillée : Tolstoï, Dosto... on a peine à croire qu'ils n'y soient pour rien, et pourtant.

Dès le premier abord, le livre m'a plu : par son volume tout d'abord. Par ses couleurs, et en particulier le rouge : rouge feu, rouge révolutionnaire, rouge sang de la couverture. Les pages sentent bon le papier coupé, elles ne sont ni trop légères ni trop épaisses. Les cases sont tracées à la main, irrégulières. Les couleurs variées, fonctionnant par atmosphères, rappellent Chagall, Van Gogh, Munch et d'autres. Le bleu est souvent glacé, le rouge synonyme de drame.

C'est l'histoire éponyme de Dimitri Bogrov : un homme dont personne ne se souvient. Après de brillantes études à Saint-Petersbourg, il rejoint son milieu bourgeois d'origine à Kiev, en Ukraine. Il doit s'y installer comme avocat. Sa mère a choisi le mobilier et les papiers peints. Heureusement ou malheureusement, Dimitri rencontre Loulia dans le train qui le ramène à Kiev. Cette jeune femme d'une beauté sans pareille, intellectuelle et libre, le rappelle à ses révoltes de jeunesse, lorsqu'il participait comme elle à une action politique d'extrême gauche.

De retour à Kiev, Dimitri ne peut bien sûr oublier la rousse, l'inflammable Loulia. Mais son amour pour elle va le précipiter à commettre l'irréparable.

J'ai énormément aimé cette BD. Je l'ai lue d'un trait et elle m'a laissé sous le charme pendant quelques temps avant que l'histoire ne se dissipe. Me sont restées les ambiances froides et chaudes, la relation impossible des deux héros, le climat de tension politique. En réouvrant le livre pour écrire ce billet, l'odeur me remplit à nouveau les narines. Je suis déjà partant pour le relire.


124 pages, coll. Bayou - 16,50 €

Post-scriptum : ... ah oui, au fait : mon second est Sonia, qui travaille pour l'agence interactive Supergazol et promeut les titres BD de Glénat, Gallimard, Dargaud... Elle est très sympathique et vous propose de recevoir vous aussi, gratuitement, cette superbe BD. Pour cela rien de plus simple : manifestez-vous par commentaire sur ce billet et un tirage au sort désignera l'heureux vainqueur ! Merci Sonia !
:)

17 février 2009

L'Implacable brutalité du réveil

Pascale KRAMER a écrit ce roman assez court, mais que j'ai lu péniblement.

C'est l'histoire d'Alissa, une jeune femme qui ne se sentait pas devenir mère et partir vivre sa vie, avoir son home et son mari qui ne rentre jamais et qui l'ignore. Et pourtant elle a fait tout ça, pour correspondre à l'image de ce que les autres attendaient d'elle. Les autres, au premier rang desquels se trouvent sa mère et son père.

Sauf que le bébé, ce n'est pas son truc, et que ses parents profitent de son installation... pour se séparer.

Le récit se fait à la troisième personne mais c'est un narrateur omniscient, qui sait tout des pensées d'Alissa et de pourquoi les poissons sont rouges. Le registre dominant, c'est la psychologie à outrance. L'écriture, elle est vraiment de qualité : phrases bien tournées, niveau de langue plutôt soutenu, avec de brefs passages de grossièreté pour effrayer les bourgeois.

Le principal problème à mes yeux, dans ce roman, c'est qu'il m'a profondément ennuyé. J'ai mis trois soirs à lire les trente premières pages, parce qu'à chaque fois que je m'y replongeais, je ne tenais pas plus de dix pages avant de m'endormir dessus. Un record personnel.

En réalité, au-delà de l'histoire qui me concerne assez peu voire me rebute mollement, je crois que c'est le rythme du roman qui m'a déplu. Une arythmie parfaite, en l'occurrence. Je suis persuadé que ce roman était fait pour faire une excellente nouvelle à chute. En cent quarante pourtant petites pages, le poisson est déjà noyé, et on a envie comme Alissa de vider le bébé avec l'eau du bain.


141 pages, éd. Mercure de France - 15 €
Offert par mon libraire dans le cadre du Prix RTL LIRE

Aurélien Malte

Aurélien Malte est détenu depuis 13 ans pour meurtre. Il lui reste un an à faire. Une jeune femme, par l'intermédiaire d'une association qui œuvre à la réinsertion, lui rend des visites depuis peu. Elle s'appelle Anne. Aurélien commence à lui écrire des lettres.

Jean-François CHABAS compose ici un récit très bien écrit, dans une simple et franche, sans effets de style, sans chichi. L'écriture d'Aurélien est liée à son tempérament, à son histoire, à son enfermement : elle est sobre et puissante. Avec beaucoup de pudeur, Aurélien livre ses pensées puis son cœur à Anne, qui ne lira pas ces lettres. Il revient peu à peu sur celui qu'il était, sur ce qu'il a fait, ce qui l'a mené là.

A vrai dire, je m'interroge : pourquoi publier ce livre en collection jeunesse ? Il n'y a ici aucune des petites facilités ou des compromis de langue, de psychologie, de polysémie qu'on trouve trop souvent au rayon jeunesse. En réalité, ce livre est profondément respectable parce qu'il vient bousculer la littérature "adulte" par la qualité de l'écriture et la sincérité de l'histoire et de celui qui la raconte.

Chapeau bas.


124 pages, coll. Livre de Poche Jeunesse - 4,90 €

16 février 2009

Si tu veux être mon amie

Deux jeunes filles échangent une correspondance alors que tout les sépare : l’Histoire, leur religion, leur nationalité. Seule la géographie en font des êtres proches : elles habitent à une dizaine de kilomètres l’une de l’autre, l’une en Palestine, l’autre en Israël.

Galit, 12 ans et Mervet, 13 ans, commencent une correspondance pour tenter de se connaître, et de comprendre la situation inextricable de leur deux pays : pourquoi une distance de 10 km est-elle infranchissable ? Pourquoi se rencontrer physiquement relève-t-il de l’événement, presque de l’exploit ?

Leur deux peuples se rapprochent par leurs mythes, leur langage (le mot merci est quasiment identique en hébreu et en arabe…), la même ville sainte. Mais l’intolérance, la haine, la rancœur augmentent de génération en génération.

Et en grandissant, les deux jeunes filles garderont-elles cet esprit d’ouverture ? cette saine curiosité de l’autre ?

L’échange est vrai, frais, candide et révolté, cherche à lever les incompréhensions mais elles ne sont pas toujours pas évidentes à accepter.

Ce livre a le mérite d’apporter un premier regard, accessible et sensible, sur un conflit qui dure depuis soixante ans et ne semble pas prêt de trouver une issue.


Galit FINK et Mervet AKRAM SHA'BAN
123 pages, coll. Folio Junior - 5,90 €
Une lectrice du BàL

07 février 2009

Lettres à sa fille

La célèbre Calimity écrit des lettres (qu’elle n’envoie pas), à sa fille (qu’elle a vue peut-être quatre fois en dix-huit ans et qui ne sait pas qui est sa vraie mère). La destinataire tant aimée de ces lettres ne sait pas que sa mère est le seul être que craignent les Indiens et que l’on fait appel à Calamity Jane pour escorter et conduire des diligences dans le grand Ouest américain…

Ces lettres témoignent du déchirement qu’une mère éprouve quand elle est séparée de sa fille. Mais cette séparation est délibérée : on ne peut pas être la pionnière la plus célèbre du pays, sur qui les commères bourgeoises des petites villes jasent vertement, et donner en même temps une éducation convenable à une jeune fille.

Au-delà de cette situation touchante, Calamity Jane dresse un portrait impitoyable des villes où elle fait escale. Sa langue se fait violente contre les bourgeois – et surtout les bourgeoises – empesés de convenances, qui lui reprochent de ne pas en avoir – elle, une femme – alors qu’ils se permettent les pires bassesses.

Parfois aussi, elle redevient maternelle avec un entourage qui fait sourire : elle recueille le bébé d’un couple peu fréquentable, et cuisine pour un groupe de hors-la-loi réfugiés à quelques centaines de mètres de sa cabane.

Bref, ces lettres offrent un visage bien différent de la caricature qu’en fait l’auteur de Lucky Luke.

Calamity Jane était une femme de cœur (dans tous les sens du terme) et d’honneur, sauvage certes, mais qui l’était parce qu’elle aurait étouffé si elle s’était conformée à la destinée d’une femme ordinaire.


128 pages, coll. Rivages Poches - 5,95 €
Une lectrice du BàL

03 février 2009

Oups !

Chères lectrices, chers lecteurs,

Je n'ai pas moins de 5  l i v r e s fort sympathiques à vous présenter sans tarder dans le cadre de la Quinzaine des correspondances !!

Eh oui, chers lecteurs et chères lectrices, mes retards d'écriture s'accumulent, mais au moins les lectures (et les photos) vont bon train !
Y a plus qu'à, comme on dit...

Nicolas
:)


P.S. : au fait, alors c'est Blutch qui remporte la mise à Angoulême ?!! Bon, OK c'est plus pertinent que Dupuy et Berberian mais euh... Angoulême pourra-t-elle nous surprendre un tout petit peu, un jour ? Heureusement qu'il y a de vagues petits lots de consolation très secondaires, décernés directement par le jury et par les partenaires. Finalement il faut regarder les petites récompenses et presque plaindre ceux qui sont adoubés et posés en tête de gondole. Ça me rappelle un festival de théâtre, tiens... :/

24 janvier 2009

Quinzaine des correspondances

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais... depuis que le petit Charles B. a déclaré que « La Nature (était) un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles. »... eh bien je ne suis pas beaucoup plus avancé sur la question des correspondances.

Alors...


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Chères lectrices, chers lecteurs, vous êtes convié(e)s, du 24 janvier au 7 février 2009, à la Quinzaine des Correspondances sur le BàL, pardi !!

Au programme ? Quelques récits épistolaires et deux ou trois gros paquets de lettres ouvertes dans la plus grande indiscrétion... Et puis quelques escales ici et là, sans rater la correspondance, tant il est certain que correspondre c'est noter l'ici pour le transporter ailleurs.

Toutes
idées lectures et impertinences bienvenues !!
:)

Blogueusement vôtre,
Nicolas


Post-scriptum : quelques liens ci-cliquables...


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Lettres unilatérales :
Simone DE BEAUVOIR, Lettres à Nelson Algren : Simone rencontre Nelson lors de son premier voyage aux U.S.A., en 1947. Elle tombe amoureuse. Non pas comme une femme de quarante ans, mais comme une adolescente. Sa verve se met au service de son corps qui renaît.

Jean-François CHABAS, Aurélien Malte : Aurélien passe sa quatorzième année en prison. Pour l'aider à faire la transition entre les murs de sa cellule et le monde extérieur, Anne, bénévole dans une association, lui rend visite. Et Aurélien lui écrit des lettres unilatérales...

Calamity JANE, Lettres à sa fille : Mme Jean McCormick n'a révélé qu'en 1941 qu'elle était la fille de la célèbre et redoutable Calamity Jane. Voici les lettres qu'elle a publiées.

Véronique MASSENOT, Lettres à une disparue : Melina écrit à sa fille Paloma, une "disparue" parmi tant d'autres en Argentine...

Claire MAZARD, L.O.L.A. : Lola et Mehdi tentent de décrypter des lettres anonymes pour en démasquer l'expéditeur, un drôle de type dont l'histoire a un lointain rapport avec la nouvelle vie de Lola.


Lettres échangées :
Galit FINK et Mervet AKRAM SHA'BAN, Si tu veux être mon amie : A la fin des années 80, l'Intifada sévit entre Palestiniens et Israëliens. De chaque côté de ce mur d'incompréhension, deux jeunes filles correspondent et tentent de comprendre malgré tout.

Jack LONDON & Anna STRUNSKY, The Kempton-Wace letters : Dans les années 1900, un jeune universitaire du nom de Dane Kempton correspond avec Herbert Wace, son mentor, son père symbolique. Ils n'ont pas la même vision des sciences, du sens de la vie... ni du mariage vers lequel Dane se dirige.

Brigitte PESKINE, Moi, Delphine, 13 ans... : Delphine vient d'être débarquée avec son frère et sa sœur dans un village d'enfants, suite à une décision de justice intervenue pour les séparer de leur mère alcoolique tout en les laissant ensemble... Elle écrit à Audrey, une vague connaissance du collège de Vitry qu'elle fréquentait l'année passée. Et en écrivant, elle avance.

Kathrine Kressman TAYLOR, Inconnu à cette adresse : Max et Martin se trouvent séparés par un océan au moment de la montée du nazisme en Allemagne, dans les années 1930. Max est juif et habite San Francisco ; Martin est bientôt fasciné par Hitler...

23 janvier 2009

L.O.L.A.

L.O.L.A. de Claire MAZARD est un récit plus léger que le précédent, même si une nouvelle fois la lettre sert à faire une confession et une analyse.

Lola vit depuis peu avec sa mère et son beau-père Michel. Elle doit sans arrêt garder Jérôme, son jeune demi-frère qui l'agace au plus haut point. Un jour elle trouve une lettre anonyme qui lui est destinée. Un type raconte sa vie et la prend à témoin ; il semble la connaître. La lettre annonce celles qui vont suivre...

Lola et Mehdi mènent l'enquête en découvrant jour après jour de nouvelles lettres, qui racontent qui fut l'homme qui les écrit. Une bien curieuse histoire de famille qui tourne mal à cause d'une toute petite haine mal enterrée... Lola en tire une bonne leçon.

De cette correspondance unilatérale, je garde un souvenir assez indifférent. Rien dans l'écriture ni dans la caractérisation des personnages n'inscrit ce récit épistolaire dans l'anthologie du genre.


71 pages, coll. Magnard Poche - 3,20 €

22 janvier 2009

Moi, Delphine, 13 ans...

Oui, le titre de ce roman rappelle le très célèbre Moi, Christiane F., 13 ans... mais Brigitte PRESKINE se limite visiblement à lui rendre hommage et compose ici un récit moins violent.

C'est l'histoire de Delphine, qui vient d'être placée avec sa sœur Elodie, 10 ans, et leur petit frère Steve dans un village d'enfants, par décision de justice. Là, une "mère", Camille, les prend en charge avec professionnalisme. Lorsqu'elle récupère ses jours de congé, c'est Paulette, l'aide à domicile, qui prend le relais avec les moyens du bord... L'idée est de rassembler la fratrie après que la vraie mère de Delphine, alcoolique, a été reconnue inapte à s'occuper de ses enfants. Sauf que la fratrie n'est pas encore au complet : Franck, 14 ans et Myriam, qui vient de naître, doivent encore rejoindre le village.

Tout cela fait du monde ! Au village il n'y a que des enfants avec de drôles de parcours familiaux. Des cas sociaux comme on dit. Delphine, à son arrivée, s'échappe en écrivant à Audrey, une vague connaissance du collège qu'elle a fréquenté l'année précédente, à Vitry. Audrey l'a toujours ouvertement ignorée par le passé mais qu'importe : Delphine a besoin d'écrire à quelqu'un.

L'auteure connaît son sujet et le récit s'en ressent positivement : la vie au village est renseignée, les profils d'ados et d'adultes sont crédibles. Malheureusement d'ailleurs, concernant les adultes...

Enfin, en se livrant dans des lettres régulières, Delphine arrive à accepter sa nouvelle vie. Elle change même d'avis sur Camille : c'est quelqu'un qui fréquente les musées et qui aime les belles choses, elle ne peut donc pas être mauvaise ni s'occuper d'eux uniquement par intérêt. Delphine regarde aussi sa propre mère d'un autre œil, plus distant mais plus humain. Elle se rend compte qu'elle ne peut pas juger de tout ni de tout le monde en un instant.

Petit à petit, Delphine (se) construit. Mais elle ne sait pas encore qui est Audrey...


142 pages, coll. Pocket - 4,75 €

21 janvier 2009

Inconnu à cette adresse

Kathrine Kressman TAYLOR (1903-1997) était américaine, née dans une famille d'origine allemande. Dans les années 1930, elle est extrêmement lucide vis-à-vis de la montée du nazisme en Allemagne. Elle imagine alors ce récit épistolaire.

L'HISTOIRE : Deux amis collectionneurs d'art sont responsables d'une galerie à San Francisco. Ils sont d'origine allemande, ayant fui l'Europe après le traumatisme de la Première Guerre mondiale. L'un des deux, Martin, repart au pays natal ; l'autre, Max, reste à San Francisco. C'est le point de départ de leurs lettres. Martin ouvre une galerie à Munich. Après avoir fait le constat de la pauvreté et de l'humilité extrême dans lesquelles vit la population allemande, il est rapidement fasciné par le personnage d'Adolf Hitler, qui vient d'apparaître sur la scène politique. Il devient cadre du parti nazi. Max, à distance, demande des explications à Martin : il ne comprend pas comment son ami peut se fourvoyer avec des gens qui méprisent la culture humaniste et le modernisme, des gens qui sont en train d'organiser l'élimination des Juifs.

Ce ne sont pas plus d'une trentaine de lettres en une soixantaine de pages, mais l'écriture de Kressman Taylor est terriblement efficace. Le désarroi de Max et la froide rigueur de Martin ne nécessitent aucun débordement. Dans le moment le plus tendu de l'intrigue, un câblogramme tient lieu de lettre. Plus de place pour les impressions, les nuances, l'échange cordial entre deux hommes cultivés : revenons-en à la poésie rugueuse des échanges commerciaux... sauf que ça ne fait pas très propre, un cadre nazi faisant commerce d'art dégénéré avec un Juif américain.

La correspondance s'arrête en mars 1934. Le pire est encore à venir, mais l'incendie du Reichtag a déjà eu lieu et la nuit des longs couteaux arrive. La dernière lettre de Max Eisenstein à son associé Martin Schulse finit par lui revenir : Inconnu à cette adresse.

Un grand petit livre.


91 pages avec le très intéressant dossier, coll. Livre de Poche Jeunesse - 4,90 €
Ce livre fait partie de la Quinzaine des correspondances

Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute

Voilà un titre qui m'a plu et me plaît encore ! Un titre éminemment poétique et résolument pas de son époque(1). J'ai d'ailleurs cru dans un premier temps à un fausse piste dans le genre de L'Automne à Pékin de Boris Vian mais non : le dernier roman de Maurice G. DANTEC parle bel et bien du fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute.

Et pour réaliser ce tour de force - je veux dire inventer un roman qui colle à un titre pareil, si tant est que le titre soit apparu à Dantec avant le roman, ce que je pense - on peut dire que l'auteur part de loin. De très loin, même : 36 000 Km environ, la distance habituelle que prennent les satellites géostationnaires vis-à-vis de l'Equateur.

Les deux héros de ce livre forment un couple percutant et gentiment halluciné. Ce sont en effet deux jeunes déréglés profonds du cerveau, vivant dans une société internationale hystérique et ultraviolente, sorte de projection uchronique de notre bel occident. L'homme est celui qui raconte, il a la trentaine ; sa complice est une belle plante instruite et athlètique de 21 ans, qui répond au doux nom de Karen. Le roman s'ouvre sur le braquage d'une agence postale de quartier, dans Paris, raconté par le braqueur. S'ensuit une absence de course-poursuite, tellement le coup est parfait. Tout se complique comme de bien entendu dès que le couple en fuite, usurpant toute une flopée de nouvelles identités, commence à approcher de l'Equateur. Le tout baigne dans l'alcool et les cachetons, histoire de rester sérieux, et toute chose dans le récit est ultra et se compte en millions, question de modernité.

Trêve de moquerie, voici très certainement un roman qui détonne au milieu des parutions franco-françaises habituelles. L'action est pêchue et la langue couillue. On sent que Dantec a l'intention de déballer son engin littéraire. Ça aboutit assez inévitablement à des passages un peu puérils, tout dans la manifestation un peu adolescente d'une violence verbale dont le narrateur se gargarise. Plus embêtant : les efforts les plus visibles pour être moderne se soldent souvent par de grands moments de solitude narrative et de ringardisme esthétique. Tellement de références diverses sont citées, à commencer par le Kill Bill de Tarantino dès la couverture, que le roman tombe plusieurs fois dans un esthétisme à mon avis stérile. Même si je souscris par exemple à l'hommage rendu à Albert Ayler (qui joue le rôle du fantôme dans la station Mir en déroute), je cherche toujours ce que Dantec propose à son lecteur une fois qu'il a balancé ce nom et qu'il nous a raconté les circonstances louches de la mort du saxophoniste. Idem pour Orange mécanique, Cassius Clay, les lunettes Ray-Ban, Carl Perkins, Nelson Mandela et même la station Mir : tous sont cités dans le roman, mais pourquoi ?

J'ai fini par lire bien vite une bonne moitié de l'ouvrage. Ça se lit comme on zapperait à demi assoupi entre plusieurs programmes TV entrecoupés de pubs. Ça occupe incontestablement du temps de cerveau disponible, mais l'assemblage hirsute ne trouve aucune cohérence, et si je m'amuse parfois, je n'adhère pas pour autant. Pour moi le roman de Dantec bouillonne, mais mollement.


(1) Pour pondre un titre actuel, si vous écrivez un essai il faut l'appeler "Ce fantôme qui était un jazzman", ou bien "Ces auteurs qui choisissent de longs titres" ; si c'est un roman, "Métempsycose de la loutre" ou "Le Délire de l'astronaute". Par exemple.
211 pages, éd. Albin Michel - 16 €
Livre lu dans le cadre du programme Masse Critique de www.babelio.com

11 janvier 2009

(BD) Fly Blues

ZARATE & SAMPAYO signent ici un "récit" dessiné. Ce sont eux qui l'appellent comme cela et le dédient, au passage, à la mémoire du grand et modeste trompettiste de jazz Kenny Dorham, auteur entre autres d'un excellent Afro-Cuban.

L'action se déroule en France, en partie à Paris, mais les couleurs sont si chatoyantes qu'on se croirait à Barcelone, en plein soleil. Les mouches virevoltent dans tout le volume et tracent en l'air des arabesques, comme des variations sur un thème de jazz, Fly Blues. Elles dansent, nous parlent en voix off, elles communiquent entre elles ; ce sont elles qui font l'histoire. A contrario, les relations humaines apparaissent pauvres, violentes. Les images choc y remplacent les mots, le coït y tient lieu de discours amoureux.

Kenny Meadows est un trompettiste de génie qui rejoint Paris en car pour enregistrer en studio avec un jeune trompettiste parisien, créateur du thème Fly Blues. Sur une aire d'autoroute, il croise les pas bottés d'une bande de loubards armés de couteaux et de téléphones portables. Les mouches en sont témoins, ainsi qu'une jeune femme qui parle aux voitures.

Gros défauts, en vrac : la narration est très décousue, sans doute parce qu'elle est portée par quelques millions de mouches. La BD met en scène une bande de jeunes criminels dont les actes sont ultra-violents, mais dont le langage (et les codes vestimentaire, gestuel) prête à sourire, vague condensé de clichés langagiers populaires. Le scénario fonctionne par ambiances et cela colle plutôt bien à la "bande originale" jazzistique, mais à quoi servent ces embryons épars de réflexion sur nos sociétés déclinantes... lorsque les auteurs se sentent obligés de clore 88 pages pessimistes sur un happy end ?

En somme, le volume se lit plutôt bien et j'aimerais retrouver les deux ou trois personnages principaux dans une autre histoire, un autre contexte. En donnant autant de place à la bande de tueurs, les auteurs me donnent l'impression de céder à la tentation du contemporain. Ils abordent un monde de violence dont ils ont une idée romancée, peu convaincante. On ne bascule jamais totalement dans le monde des tueurs, et les gentils restent finalement toujours à l'abri, dans leur citadelle d'art et de sentiments.

Fly Blues, c'est un peu comme un conflit de sensations : du sensationnel sanglant au sensualisme bourgeois. A chaque bord ses clichés, et vogue la BD ! Tout ça n'est bon ni mauvais, et c'est peut-être ça que je regrette.


92 pages en tout (l'épilogue de 4 pages est un vrai happy few),
coll. Futuropolis -

09 janvier 2009

Vœux 2009

Bonjour à tous et tout d'abord...

... très, très Bonne Année 2009 ! Je vous souhaite de trouver du temps pour lire, pour écouter, pour discuter, pour réfléchir, pour écrire.

Ce temps-là m'a manqué depuis quelques mois. La photo a pris le pas sur les livres.

Mais 2009 commence avec un passage symbolique que je viens de remarquer à l'instant : la 100 000ème visite sur le Blog à Lire a eu lieu. Silencieusement, l'air de rien, comme ça hop !

Ça va vous paraître plon plon, mais ça me fait quelque chose, quand même, ce chiffre : 100 000 visites en trois ans et demi pour un blog qui ne parle finalement que de mes lectures...

Alors voilà : je vous souhaite pour 2009 le même genre de frisson que celui que je viens de ressentir en prenant conscience de vos 100 000 visites, en pensant à vous, à tous ceux qui lisent ce blog, à tous ceux et toutes celles qui me font l'amitié de laisser quelques commentaires de-ci de-là. 

Un  très très grand et sincère M E R C I. Pourvu que ça dure... :)