28 janvier 2010

Jerome David Salinger est mort

Si vous me demandez quel écrivain m'a vu naître en tant que lecteur, je vous répondrai J. D. Salinger. A cause de L'Attrape-cœurs, de Franny and Zooey, de l'Oncle déglingué du Connecticut et d'Un jour rêvé pour le poisson banane.

L'errance de Holden Caulfield à travers New York a marqué des générations d'adolescents. Combien, comme moi, considèrent ce livre comme un monument de la littérature ? Combien, pire, ont eu furieusement envie de vivre comme Holden : d'avoir son style, ses refus, son phrasé, son ironie et son impertinence ?

Salinger est mort et je voudrais tout lire ou relire.
... et me réjouir des inédits qui ne manqueront pas de sortir dans l'année à venir.
C'est comme ça.

J. D. Salinger vivait reclus dans le silence depuis plus de 50 ans. Aucune vidéo de lui n'existe, presque aucune photo à part celle que vous retrouverez dans toutes les chroniques dès ce soir. Aucune biographie autorisée, seulement une biographie non autorisée d'un journaliste mal intentionné que Salinger attaqua en justice, et les souvenirs d'enfance de sa fille. Un très très grand romancier, l'un des deux ou trois plus grands du XXè s., est mort.

De mémoire : « Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez me demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé, ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield. Mais j'ai pas envie de raconter ça, et tout. Primo, ce genre de trucs ça me rase et deuxio mes parents ils auraient chacun une attaque, et même deux chacun, si je me mettais à baratiner sur leur compte quelque chose d'un peu personnel. »

... et ça date de 1951. Bon sang.

Slate.fr : ici et

12 janvier 2010

L'Île des Esclaves

Je viens de relire une courte pièce de MARIVAUX (1688-1763) intitulée L'Île des Esclaves. La notice nous dit qu'il s'agit d'une comédie en un acte et en prose créée en 1725. C'est surtout une pièce politique, une utopie aux accents révolutionnaires qui hélas ne va pas au bout de son idée.

« Iphicrate, petit-maître, et Euphrosine, coquette, sont jetés par la tempête dans une île gouvernée par des esclaves fugitifs. Selon les lois de la colonie, on ôte la liberté à ces deux malheureux, et on affranchit au contraire Arlequin et Cléanthis, leurs domestiques. Ceux-ci, devenus les maîtres de leurs anciens maîtres, en font par ordre du magistrat des portraits ridicules, et il faut qu'Iphicrate et Euphrosine conviennent que ces portraits sont ressemblants. » (1)

Thomas More a précédé Marivaux dans l'utopie, et Molière, Corneille l'ont précédé dans l'exercice de montrer les ficelles du jeu théâtral avec l'Impromptu de Versailles et L'Illusion comique. Quant à Arlequin devenant maître de son maître et s'en accommodant si bien, il nous rappelle le Jacques de Diderot ou le Figaro de Beaumarchais.

Le thème du renversement des valeurs est lui aussi bien de son siècle. Voyez l'esthétique du monde en miroir cher à Cyrano dans les Etats et empires de la Lune et du Soleil, pour commencer. Et puis le XVIIIè siècle se termine en 1789 par la Révolution française, n'est-ce pas ?

Cette petite pièce se lit donc bien vite mais elle n'est pas pour autant inconsistante. Penser qu'elle fut présentée devant la Cour à deux reprises pourrait même faire frémir. Fort heureusement (ou malheureusement si l'on juge d'après notre plaisir), Marivaux réserve une issue heureuse et convenable à sa comédie : les maîtres s'attendrissent et reconnaissent leurs torts, les valets dont les souffrances sont enfin reconnues n'en demandent pas davantage et se jettent aux pieds des premiers, par un mouvement presque "naturel" qui laisse songeur... Mais il faut se souvenir que Marivaux appelle Arlequin et Cléanthis des esclaves, alors que ce ne sont que des valets. C'est par ce glissement sémantique discret mais pas anodin qu'il est finalement le plus critique. Notons également que si l'action se déroule dans l'antiquité, au large de la Grêce et en référence à la société athénienne, les mœurs des personnages sont bel et bien celles du XVIIIè siècle français.

Ce que j'ai réappris de Marivaux : il était fils de fonctionnaire, s'inscrivit en Droit sans jamais y aller, fit ses premières pièces mais demanda quand même à récupérer la charge de son père à la mort de celui-ci (ce qui lui fut refusé). Il créa des comédies amoureuses et des critiques politiques. Il accorda vraisemblablement plus d'importance aux secondes mais fut reconnu pour les premières. Il persévéra dans le roman et s'attira au même moment ses premières critiques. Il fut élu à l'Académie longtemps après y avoir prétendu et dirigea même l'institution par tirage au sort. Monsieur de Marivaux, de l'Académie Française, mourût gras et repu. Les critiques à son égard restent assez justes : « Cet auteur aurait bien de l'esprit s'il ne songeait pas tant à en avoir, ou pour parler encore plus juste, s'il parlait un langage à se faire comprendre. » (2)

Cependant, si Marivaux n'est pas Molière, certaines de ses pièces se lisent encore très bien et ne se jouent sans doute pas plus mal. Il en va ainsi de L'Île des Esclaves, qui aurait quelques leçons à nous donner, encore aujourd'hui.

(1) La Barre de Beaumarchais, Lettres sérieuses et badines, année 1730
(2) Journal de la Cour et du Palais, année 1733



Théâtre complet, La Pochotèque - 28 euros env.